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Israël va-t-il frapper les sites nucléaires en Iran ?

L’État hébreu entend profiter de l’affaiblissement régional de la République islamique pour s’attaquer au programme nucléaire iranien. Avec la bénédiction de Donald Trump.

Par Armin Arefi

La fenêtre de tir n’a jamais été aussi favorable à l’État hébreu. Profitant du déclin de l’axe pro-iranien au Moyen-Orient, avec l’affaiblissement coup sur coup du Hamas palestinien et du Hezbollah libanais couplé au renversement de l’ex-président syrien Bachar el-Assad, Israël pourrait être tenté de se débarrasser de ce qu’il considère comme la principale menace à laquelle il est confronté dans la région : le programme nucléaire iranien.

Selon un rapport du renseignement américain produit aux premiers jours de l’administration Trump et dévoilé en février par le Wall Street Journal, l’État hébreu envisagerait sérieusement de réaliser cette année des frappes militaires d’ampleur contre les sites atomiques en Iran pour écarter le risque que la République islamique fabrique une bombe nucléaire.

« L’Iran ne possède plus aujourd’hui de défense aérienne et serait incapable de se défendre en cas d’attaque aérienne, que ce soit de la part d’Israël ou des États- Unis », souligne une source diplomatique israélienne sous le sceau de l’anonymat. D’après le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou,

les chasseurs de Tsahal auraient détruit les quatre batteries de missiles sol-air d’origine russe S-300 que possédait l’Iran près d’installations critiques autour de Téhéran (nord), Fordo (centre), Ispahan (centre) et Boushehr (sud), au cours des deux salves de représailles aériennes de l’armée israélienne menées en avril et en octobre 2024 en représailles aux attaques iraniennes sans précédent contre le territoire israélien.

« Un signal très fort »

« Le message est qu’Israël a détruit les meilleures batteries antimissiles sol-air iraniennes, qui plus est à côté d’objectifs stratégiques : le nucléaire, la balistique, la recherche et le pétrolier », expliquait alors dans une interview au Point l’historien militaire Pierre Razoux, directeur académique de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (Fmes). « La prochaine fois, les avions israéliens pourront, par conséquent, se balader comme ils le souhaitent au-dessus de l’Iran et bombarder ce que bon leur semble. À ce titre, je pense que c’est un signal très fort qui confère un avantage important à Israël. »

À Téhéran, on dénonce, en dépit des évidences, une « campagne de déstabilisation » orchestrée par Israël. « Israël tente de provoquer la panique en Iran, mais notre pays n’est pas inquiet », assure une source diplomatique iranienne ayant requis l’anonymat. « Israël est un pays bien plus petit que l’Iran et a toujours tenté de nous isoler. Or, comme le dit une expression persane ancienne, “celui qui se vante le plus est toujours celui qui perd la guerre”. » C’est oublier que l’attitude d’Israël à l’égard de l’Iran a profondément changé depuis le 7 octobre 2023. Si les services de renseignement israéliens estiment que la République islamique n’a pas ordonné les massacres du Hamas, ils considèrent que l’Iran, en tant que premier soutien militaire et financier du mouvement islamiste palestinien, lui a donné les moyens d’agir.

Guerre ouverte

« Toutes les menaces que nous devions affronter étaient liées à l’Iran, que ce soit au niveau stratégique, régional ou terroriste », souligne la source diplomatique israélienne. « Or, depuis le 7 Octobre, toute l’architecture que l’Iran a mise des années à créer est tombée en morceaux et extrêmement affaiblie. » En riposte au déclenchement par Israël de son offensive militaire contre le Hamas à Gaza, la République islamique a activé l’« anneau de feu » de ses « proxys » (relais) dans la région (Hamas et Djihad islamique palestinien, Hezbollah libanais, milices chiites irakiennes, rebelles yéménites houthis) dans le but de détourner l’effort de guerre israélien et soulager les mouvements armés palestiniens à Gaza.

Or, en représailles, Tsahal, loin de se cantonner aux supplétifs de l’Iran au Moyen- Orient, a directement ciblé les gardiens de la Révolution islamique, les architectes iraniens de l’« Axe de la résistance » aux États-Unis et à Israël dans la région, dont

de hauts cadres ont été ciblés en Syrie et au Liban. Ainsi, le 1er avril 2024, l’aviation israélienne n’a pas hésité à détruire le consulat iranien à Damas, tuant Reza Zahedi, le chef pour le Liban et la Syrie de la force Al-Qods, la branche extérieure des pasdarans, entraînant pour la première fois de l’histoire des frappes iraniennes contre le territoire israélien.

Longtemps engagés dans une guerre froide par procuration, les deux pays

ennemis s’affrontaient désormais directement. « Du 8 octobre 2023 au 1er avril 2024, la République islamique avait l’impression qu’elle maîtrisait la guerre et l’escalade de la guerre contre Israël en menant une guerre indirecte contre l’État hébreu via l’activation de fronts concomitants, sans risquer de perdre le Hezbollah libanais, le “joyau de la couronne” iranienne, ni d’être attaquée sur son sol »,

analyse une source diplomatique occidentale. « Mais, à partir du 1er avril 2024 et de la mort du général Zahedi, Israël a repris le contrôle de l’escalade militaire régionale et l’Iran a échoué tant sur la préservation du Hezbollah que de son territoire. Cette séquence s’est achevée le 8 décembre 2024 avec la chute de Bachar el-Assad en Syrie. »

L’hypothèse d’un « deal »

Paradoxalement, le salut iranien pourrait venir de la volonté de Donald Trump de négocier un « deal » avec Téhéran pour qu’il n’accède pas à l’arme atomique.

Ironie du sort, c’est le président américain qui, lors de son premier mandat en mai 2018, s’était unilatéralement retiré de l’accord sur le nucléaire iranien (JCPOA), qui encadrait pourtant les capacités atomiques iraniennes, au prétexte qu’il souhaitait un meilleur compromis englobant les « actions déstabilisatrices » de l’Iran dans la région et son programme balistique. « Il est clair que les États- Unis sont à la recherche d’un dialogue avec l’Iran car ils comprennent que c’est une puissance régionale qu’il est impossible d’attaquer comme ce fut le cas

avec l’Irak ou la Libye », estime la source diplomatique iranienne. Mais le retour de la politique américaine de « pression maximale » visant à étouffer l’économie iranienne en l’accablant de sanctions pour mieux tordre le bras de l’Iran éloigne le scénario de la conclusion rapide d’un accord, hypothèse d’ores et déjà balayée d’un revers de main par le guide suprême et numéro un iranien, l’ayatollah Khamenei. « L’Iran ne négociera pas sous pression, mais dans le cadre d’un dialogue constructif d’égal à égal », prévient la source diplomatique iranienne.

Pour l’heure, seuls les Européens (France, Allemagne et Royaume-Uni) parlent avec la République islamique. Autorisées par les États-Unis, ces discussions visent à trouver une issue diplomatique avant l’expiration officielle du JCPOA,

le 18 octobre prochain, date après laquelle le programme nucléaire iranien ne sera plus soumis à une quelconque restriction technique. Pour se faire entendre de Téhéran, Paris, Berlin et Londres agitent le spectre du snapback, la possibilité de rétablir les sanctions internationales contre l’Iran avant l’automne prochain. Ils n’ont que jusqu’à l’été pour actionner ce mécanisme.

Douze jours

Or le temps presse. Dans un rapport confidentiel datant de février, l’Agence internationale de l’énergie atomique indique que l’Iran a accru de manière « très préoccupante » ses réserves d’uranium enrichi à 60 %, passant à 274,8 kg, contre 182,3 kg au mois de novembre, soit une hausse de 51 %. À un taux d’enrichissement de 20 %, l’uranium peut être utilisé pour la production d’isotopes médicaux, ainsi que pour la propulsion navale et les réacteurs de recherche, comme le prétend Téhéran. Mais, à 90 %, le combustible nucléaire atteint le seuil nécessaire pour la production d’une bombe. D’après le renseignement américain, il ne faudrait que douze jours à l’Iran pour produire assez de matière fissile pour constituer une arme atomique. Après cette étape clé, il faudrait encore miniaturiser la charge nucléaire et la placer sur un vecteur capable de la transporter, ce qui prendrait encore entre un et deux ans, selon les estimations.

La semaine dernière, l’ayatollah Khamenei a encore souligné que l’Iran ne cherchait pas la bombe atomique, contre laquelle il a déjà émis une fatwa (décret religieux), la déclarant « illicite ». Le numéro un iranien a cependant ajouté : « Si nous voulions des armes atomiques, l’Amérique ne pourrait nous arrêter. » L’affaiblissement régional de l’Iran plaide pourtant pour cette seconde option.

« Coup sur coup, le régime a perdu plusieurs couches de défense dans la région, ainsi qu’une grande partie de ses missiles balistiques lors des attaques directes qu’il a lancées l’an dernier contre Israël », analyse le diplomate occidental.

« Désormais, un certain nombre de responsables iraniens de second rang laissent entendre publiquement un changement de doctrine nucléaire pour aller vers la construction d’une bombe. »

« Il est déjà trop tard », estime pour sa part la source diplomatique israélienne.

« Les chemins de la diplomatie s’éloignent chaque jour davantage et nous avons toujours été sérieux lorsque nous avons dit qu’Israël ne permettrait pas à l’Iran d’avoir l’arme nucléaire. » Maintes fois brandi au cours de la dernière décennie par les dirigeants israéliens successifs, le scénario d’une opération militaire contre les sites atomiques iraniens serait pourtant d’un tout autre calibre que la destruction par Israël du réacteur irakien d’Osirak, en 1981, ou celle du site syrien d’Al-Kibar, en 2007. « Les sites iraniens sont multiples et disséminés à travers tout le territoire, y compris à plusieurs dizaines de mètres sous terre, comme à Fordo », rappelle David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et rédacteur en chef de la revue Orients stratégiques (éditions L’Harmattan). « Par ailleurs, l’Iran étant distant d’Israël de plus de 2 000 kilomètres, ce pays est beaucoup plus éloigné que la Syrie et l’Irak, ce qui complique la faisabilité technique d’une telle opération. »

Bombes américaines

Pour frapper l’Iran, les chasseurs F-35 israéliens, dont la portée ne dépasse pas 1 400 kilomètres, peuvent difficilement se passer de ravitaillements en plein vol. À cette fin, l’État hébreu a fait l’acquisition à Washington de quatre avions ravitailleurs Boeing KC-46, qui doivent être livrés au premier trimestre 2025.

Autre difficulté pour Tsahal, le caractère souterrain des sites iraniens qui nécessite l’utilisation de bombes américaines antibunkers de dernière génération (Massive Ordnance Penetrator, code GBU-57), que les États-Unis n’ont pas fournies à ce jour à Israël. « Si elles parvenaient à atteindre leur cible, ce qui reste à prouver, ces bombes retarderaient le programme nucléaire iranien mais ne pourraient rien contre le savoir-faire en la matière déjà acquis par les Iraniens, pointe le chercheur. Évidemment, une telle opération aurait besoin au minimum de l’aval des États-Unis, qui feraient profiter leur allié israélien de leur écosystème technologique de renseignement en matière aérienne. Elle serait, en outre, plus facile à mettre en œuvre conjointement avec l’armée américaine. »

« La stratégie du gouvernement israélien, pas celle du Mossad (les services de renseignement extérieurs d’Israël), est de tout faire pour faire échouer le “grand deal” entre l’Iran et les États-Unis », juge l’historien militaire Pierre Razoux, auteur de Tsahal : nouvelle histoire de l’armée israélienne et de La Guerre Iran-Irak (éditions Perrin). « Benyamin Netanyahou compte sur le fait que la négociation entre Téhéran et Washington ne fonctionne pas, que Donald Trump s’énerve et laisse Israël s’occuper du dossier du nucléaire iranien. Le Premier ministre israélien se tient en embuscade face à l’Iran pour frapper au bon moment. »

Justement, le président Donald Trump n’a pas écarté la possibilité d’une action armée contre l’Iran en dernier recours. Le 7 mars dernier, il déclarait dans une interview à Fox Business : « J’espère que l’Iran [va] négocier car, si nous devons intervenir militairement, ce sera une chose terrible pour eux ».