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Israël stupéfait par la découverte sur son propre sol de réseaux d’espions à la solde de l’Iran

Des dizaines d’habitants du pays, tous de confession juive, ont été arrêtés ces dernières semaines au motif qu’ils auraient livré des informations sensibles au régime de Téhéran. Une nouvelle section a été ouverte, dans une prison au sud de Haïfa, pour placer ces suspects à l’isolement.

Semaine après semaine, les arrestations, opérées conjointement par la police et le Shin Bet, le service de renseignement intérieur israélien, se multiplient sur tout le territoire hébreu. Début juillet, cinq nouvelles personnes interpellées ont comparu devant un tribunal pour une mise en détention immédiate. Toutes sont de confession juive, nées en Israël, comme des dizaines d’autres suspects avant elles.

Alors que le Mossad (service de renseignement extérieur israélien) a été applaudi pour avoir infiltré l’Iran en profondeur, ce qui lui a permis de localiser et d’éliminer une grande partie du haut commandement militaire et des scientifiques nucléaires du pays, Israël découvre, stupéfait, l’existence, sur son propre territoire, de plusieurs cellules endogènes agissant pour le compte de son ennemi.

Ces espions à la solde de Téhéran ont-ils permis de guider les missiles iraniens vers leurs cibles lors de la guerre qui a opposé les deux pays, durant douze jours, entre le 13 et le 24 juin ? La liste exhaustive des sites touchés n’a pas été rendue publique, mais au moins six bases militaires israéliennes ont été bombardées du nord au sud, dont la base aérienne de Tel Nof et la base de Glilot, le quartier général du Mossad au nord de Tel-Aviv, sans compter, à Rehovot, l’Institut Weizmann des sciences, fleuron de la recherche fondamentale, gravement endommagé. Un résultat qui atteste, pour les services de sécurité de l’Etat hébreu, de renseignements collectés parfois bien en amont du récent conflit.

L’Institut Weizmann des sciences, fleuron de la recherche israélienne fondamentale, gravement endommagé par une frappe iranienne, le 15 juin 2025, à Rehovot (Israël) ; ici le 19 juin 2025. MAYA ALLERUZZO/AP

Installé dans son bureau de Lahav 433, situé dans la ville de Lod, le commandant Alex Nemirovsky, chef de l’unité chargée des crimes les plus graves et de la traque des espions, n’a aucun doute.
« Il ne s’agit pas de personnes recrutées simplement pour prendre quelques photos ou faire des graffitis, mais de choses beaucoup plus sérieuses », dit-il, contredisant ainsi les avocats qui plaident l’ignorance de leurs clients, souvent enrôlés par messagerie, sur l’identité réelle de leur commanditaire.

« La personne que je représente n’a pas compris pour qui elle travaillait ; elle a simplement pris des photos, que l’on peut trouver aisément sur Google, et pour des sommes dérisoires », plaide une avocate commise d’office, qui préfère rester anonyme afin de ne pas porter préjudice à son client dont le dossier est encore à l’instruction.

Nouvelle section pénitentiaire

« Au début, ce ne sont pas des sommes fabuleuses, acquiesce Alex Nemirovsky, cela va de 100 à 1 000 dollars [86 à 860 euros], mais les petites missions évoluent vite, et en parfaite connaissance de cause… » Le policier cite le cas de sept Israéliens originaires d’Azerbaïdjan, arrêtés en septembre 2024. Un mois plus tard, en octobre, l’Iran lançait des missiles en direction de plusieurs cibles israéliennes, parmi lesquelles figurait, déjà, la base de Glilot.

« Nous avons interpellé les membres d’un groupe, alors qu’ils cherchaient à éliminer un officier de l’armée de haut rang, dit-il. Pendant près de deux ans, ils ont effectué 600 opérations de reconnaissance, en louant des appartements près des bases militaires, puis en créant une société touristique spécialisée dans les voyages en Jeep, ce qui leur a permis d’approcher ces bases. »

« Chacun, poursuit Alex Nemirovsky, avait une tâche bien précise ; l’un était chargé des photos, pour des repérages, ou pour vérifier les dégâts commis lors des frappes, un autre de collecter l’argent… Le plus âgé a 20 ans, le plus jeune est mineur, et l’un d’entre eux était même en train d’effectuer son service militaire ! » Le groupe aurait perçu 300 000 dollars (260 000 euros) des services iraniens.

Après leur interpellation, les membres de cette cellule ont été placés en détention provisoire dans le nord du pays. Pour accueillir les espions, de plus en plus nombreux, les services pénitentiaires ont ouvert une nouvelle section qui leur est spécialement réservée, dans la très vieille prison de Damon, à proximité de Haïfa. Une mesure jugée nécessaire pour ne pas mélanger cette nouvelle population « avec les terroristes palestiniens ». Les conditions y sont « très strictes », admet Alex Nemirovsky.

Considérés comme des « traîtres », les détenus encourent de lourdes condamnations, voire, « en temps de guerre », la peine capitale (non appliquée, celle-ci se transforme en prison à vie). Le premier à avoir été jugé, « Moti » (Mordechai) Maman, 72 ans, déjà connu des services de police pour trafic de drogue, a été condamné en avril à dix ans de prison, après avoir reconnu les faits.

« Processus de détérioration »

Originaire d’Ashkelon, une ville située sur la côte méditerranéenne, au nord de la bande de Gaza, il s’était rendu à deux reprises clandestinement en Iran, de la Turquie, dissimulé la seconde fois dans un camion. Selon la partie rendue publique de l’acte d’accusation, les services iraniens avaient demandé au septuagénaire, qui s’était prévalu de contacts dans le milieu criminel, d’éliminer une personnalité politique israélienne.

Ces nouveaux « agents » arborent un profil souvent plus jeune, un certain nombre étant originaires de pays de l’ex-Union soviétique. Ils sont attirés sur les réseaux sociaux par de petites annonces obscures promettant de modestes rétributions en cryptomonnaie. Il s’agissait, par exemple, de peindre un tag hostile à « Bibi », le surnom du premier ministre, Benyamin Nétanyahou.

« Dans notre jargon, c’est ce que l’on nomme un “processus de détérioration” : les premières missions sont assez anodines, mais si vous refusez d’aller plus loin, on menace de vous dénoncer et, généralement, les personnes approchées ont parfaitement conscience de ce qu’elles font », affirme Shalom Ben Hanan.

Cet ancien cadre du Shin Bet dirigeait encore l’unité du contre-espionnage, lorsque, en 2019, Gonen Segev, ancien ministre de l’énergie, avait été arrêté, après avoir été accusé, alors qu’il résidait au Nigeria, d’avoir transmis à l’Iran des informations sensibles. « Il devait attirer des personnalités israéliennes à l’étranger pour les kidnapper », assure l’ancien haut responsable du renseignement qui exerce aujourd’hui à l’Institut international de lutte contre le terrorisme de l’université Reichman, à Herzliya, près de Tel-Aviv.
« C’était le premier signe des efforts en profondeur tentés par la partie iranienne, poursuit M. Ben Hanan, mais nous avons tardé à comprendre que cette menace pouvait être sérieuse et, aujourd’hui, on assiste à une réelle accélération des recrutements de citoyens israéliens. »

« De tels exemples étaient assez rares jusqu’ici, abonde Ronen Bergman, journaliste d’investigation et auteur du livre Lève-toi et tue le premier (Grasset, 2020), consacré aux assassinats menés par les services israéliens à l’étranger. Mais l’Iran, qui cherche, depuis deux ans, à prendre sa revanche après l’élimination de plusieurs de ses leaders, est désormais capable d’opérer à partir de pays tiers [comme l’Azerbaïdjan ou la Turquie] et de recruter des Israéliens sur leur propre sol, ce que seuls les Syriens étaient parvenus à faire dans les villages juifs du plateau du Golan, bien que cela n’ait jamais été rendu public. »

Aversion pour le gouvernement Netanyahou

« Pas besoin de professionnels pour cela, ajoute le spécialiste, joint par téléphone aux Etats-Unis. Evidemment, si vous voulez les plans secrets de la guerre d’Israël, il vaut mieux en avoir, mais si vous cherchez à localiser les allers et retours de quelques gradés à l’intérieur d’une base militaire, vous avez juste besoin de quelqu’un sur le terrain pour mettre une caméra sur un véhicule et revenir la chercher vingt-quatre heures après.

En quelques mois, 45 personnes ont ainsi été arrêtées, selon le commandant Nemirovsky. « Et ce n’est pas fini, il va y en avoir d’autres », assure-t-il. Sans comparaison possible avec le nombre d’Iraniens qui ont opéré sur leur territoire au bénéfice d’Israël, pour guider les frappes, voire actionner eux-mêmes des drones, l’ampleur de l’implication d’Israéliens ayant agi, en sens inverse, pour le compte de Téhéran, a surpris.

Leurs motivations ne sont pas seulement financières. Elles résultent aussi d’une forme de détestation d’un pays dans lequel ils ont du mal à s’intégrer, et d’une aversion pour le gouvernement de Benyamin Nétanyahou. Selon l’aveu d’un des suspects, le premier ministre israélien lui-même figurait sur la liste de cibles potentielles de la République islamique.
« Depuis l’attaque du 7-Octobre, espionner un pays en guerre a plus de valeur », affirme le policier.

Jeudi 10 juillet, une nouvelle douche froide a saisi les services israéliens avec des « leaks » publiés par des hackeurs iraniens. Ces documents, mis en ligne la veille et révélés par le journal Haaretz, contiennent les noms de centaines d’officiers israéliens, leur spécialité, ainsi que leur lieu d’affectation. Parfois même leur adresse personnelle.