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Iran : le Guide suprême, Ali Khamenei, principal obstacle d’une négociation avec les Etats-Unis

Alors que les risques d’une guerre avec Israël sont considérables et que la situation économique ne cesse d’empirer, des officiels iraniens, à l’instar du chef de la diplomatie, tentent de trouver des brèches afin d’obtenir une levée des sanctions internationales.

Lors de son discours annuel prononcé à l’occasion du Nouvel An iranien (Norouz), le Guide suprême, Ali Khamenei, est resté fidèle à sa ligne dure. Vendredi 21 mars, il a réaffirmé son opposition à toute négociation avec les Etats-Unis, malgré la situation critique à laquelle l’Iran est confronté. « Les Américains doivent comprendre qu’ils n’obtiendront rien par la menace lorsqu’ils traitent avec l’Iran », a déclaré Ali Khamenei, qui a le dernier mot sur toutes les décisions majeures du régime.

Début février, déjà, il avait décrété que négocier avec les Etats-Unis n’était « ni raisonnable, ni intelligent, ni honorable ». Vendredi, il a pourtant reconnu la menace grandissante de la guerre depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, dont la politique de « pression maximale » est alignée sur celle d’Israël. « La République islamique est menacée [par ses ennemis, notamment Israël et les Etats-Unis] ; qu’ils sachent que nous n’avons jamais été les initiateurs d’affrontements ou de conflits avec qui que ce soit. Cependant, si quelqu’un agit avec malveillance et commence un conflit, qu’il sache qu’il recevra de sévères gifles », a-t-il mis en garde devant une foule de partisans, réunis à Téhéran.

Les derniers propos du Guide surviennent un peu plus d’une semaine après que l’Iran a reçu, le 12 mars, une lettre du président américain. « La lettre de Trump contient des menaces, mais prétend offrir des opportunités, a expliqué le ministre iranien des affaires étrangères, Abbas Araghchi, le 20 mars, sur la deuxième chaîne de télévision iranienne. Dans notre réponse, vous verrez les deux aspects. Nous y répondrons dans les prochains jours. »

Malgré la virulence du discours du Guide, de nombreux officiels iraniens, à l’instar du chef de la diplomatie, tentent de trouver des brèches pour envisager des négociations avec les Etats-Unis, notamment afin d’obtenir une levée des sanctions internationales. Abbas Araghchi a d’ailleurs évoqué la possibilité que l’Iran engage des « pourparlers indirects tant que ces pressions et menaces persistent ». « Nous sommes prêts pour la guerre, mais nous ne la cherchons pas. L’année prochaine sera une année difficile, importante et complexe », a-t-il reconnu.

Crise stratégique sans précédent

Quelques jours plus tôt, la mission iranienne auprès des Nations unies avait publié une déclaration sur X qui n’excluait pas des négociations entre l’Iran et les Etats-Unis concernant le programme nucléaire. « Si l’objectif des négociations est de répondre aux inquiétudes concernant une éventuelle militarisation du programme nucléaire iranien, de telles discussions pourraient être envisagées », précisait le communiqué. L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) note d’ailleurs une intensification de la production d’uranium enrichi en Iran, rapprochant le pays d’un seuil critique. De son côté, Téhéran a toujours nié le caractère militaire de ce programme.

Pour Ali Khamenei, deux décisions de Donald Trump sous son premier mandant (2017-2021) renforcent son refus du dialogue. En 2018, le président américain avait annoncé le retrait unilatéral des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire, conclu à Vienne trois ans plus tôt, entre l’Iran et six puissances mondiales (Etats-Unis, Royaume-Uni, France, Russie, Chine et Allemagne). Deux ans plus tard, il ordonnait l’assassinat en Irak de Ghassem Soleimani, chef des Forces Al-Qods, la branche extérieure des Gardiens de la révolution, l’armée idéologique du pays.

Le contenu présumé de la lettre de Donald Trump à l’Iran ne laisse guère espérer une résolution rapide du contentieux irano-américain. Selon le site américain Axios, citant un responsable américain et deux sources informées, la tonalité du courrier serait « dur ». Le document, qui n’a pas été rendu public, sommerait l’Iran d’engager des négociations dans un délai de deux mois, faute de quoi « la probabilité d’une action militaire américaine ou israélienne contre les installations nucléaires iraniennes augmenterait considérablement », affirme Axios.

Sur la scène internationale, depuis l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, l’Iran traverse une crise stratégique sans précédent. Son « axe de la résistance » – un réseau d’alliés qu’il a patiemment tissé au cours de plus de quarante ans, allant du Liban au Yémen, en passant par la Palestine, la Syrie et l’Irak, et qui harcelait Israël et les forces américaines au Proche-Orient – a encaissé des coups très sévères. Avec la chute, le 8 décembre 2024, du régime de Bachar Al-Assad en Syrie, un pilier essentiel de cette stratégie, l’Iran a perdu son « corridor » terrestre, qui lui permettait de soutenir militairement le Hezbollah libanais, lui-même fragilisé par les attaques israéliennes.

Malgré la reprise des attaques des rebelles houthistes en mer Rouge, Trump intensifie les frappes au Yémen et met en garde l’Iran : « Si Téhéran ne met pas fin immédiatement à son soutien, l’Amérique (…) ne sera pas indulgente. »

Pousser à l’ouverture des négociations

En Irak, l’influence iranienne recule également. « En cas de confrontation, il est peu probable que les Irakiens viennent en aide à l’Iran, car le bilan mitigé de l’Iran au Liban et en Syrie a semé le doute sur la véritable puissance de ce pays, explique Hamzeh Hadad, chercheur au Conseil européen pour les relations internationales. Certains dirigeants irakiens se demandent pourquoi ils devraient se sacrifier pour l’Iran alors que ce dernier n’a pas su protéger ses alliés ailleurs. »

Au sein du régime, certains appellent même à ne pas interpréter trop strictement les déclarations du Guide. L’ancien président Hassan Rohani (2013-2021), artisan du « deal » nucléaire, est sorti de son silence pour souligner l’urgence de la situation. « Le Guide suprême n’est pas [fondamentalement] opposé aux négociations. Il peut y être opposé sous les circonstances actuelles mais, dans quelques mois, il pourrait l’accepter sous d’autres conditions », a-t-il affirmé lors d’une rencontre fin février avec les membres de son cabinet.

Diffusée le 13 mars, sa prise de position intervient juste après la réception de la lettre de Trump. Un moyen pour Hassan Rohani de pousser à l’ouverture des négociations avec Washington, rappelant que l’Iran a perdu jusqu’à 800 milliards de dollars depuis le retrait américain de l’accord. Avant le Nouvel An iranien, le dollar a atteint un seuil symbolique de 1 million de rials. En un an, la monnaie iranienne a perdu 60 % de sa valeur face au billet vert, alimentant les préoccupations de la population. « Lorsque Israël entrera en conflit avec nous, il ne sera plus seul », a conclu Hassan Rohani, faisant ainsi allusion au soutien américain à Israël en cas de confrontation militaire avec Téhéran.

Dans un contexte économique délétère, marqué par des années de mauvaise gestion, de corruption et de sanctions, et alors que les blessures de la répression du mouvement Femme, vie, liberté restent vives, une partie du pouvoir iranien semble s’être résignée ces dernières semaines à un pragmatisme limité et temporaire. Ainsi, la nouvelle loi sur la « chasteté et le hijab », adoptée par le Parlement à l’automne 2024, prévoyant de sévères punitions pour les femmes mal voilées, a été suspendue à la demande du Conseil suprême de la sécurité nationale, par crainte qu’elle ne « provoque une polarisation et n’affaiblisse le régime », selon les propos de Mahmoud Nabavian, député ultraconservateur.

Concessions ponctuelles

De plus, pour la première fois depuis longtemps, le régime iranien a permis à la population de célébrer publiquement la Fête du feu, le dernier mardi de l’année, une tradition longtemps rejetée en raison de ses racines zoroastriennes. De nombreux Iraniens ont ainsi pu danser et écouter de la musique en plein air, malgré le mois sacré du ramadan, période où de telles réjouissances sont encore plus mal perçues.

Ces concessions ponctuelles ne peuvent guère suffire à combler le fossé croissant entre le peuple et le régime. Dans le contexte politique actuel, Ali Khamenei apparaît de plus en plus comme le principal obstacle à tout changement substantiel. « Pour Ali Khamenei, un dirigeant âgé plus préoccupé par son héritage que par tout autre chose, il est difficile de négocier avec Donald Trump, explique Ali Vaez, spécialiste de l’Iran au sein de l’International Crisis Group. De plus, le Guide pense pouvoir donner des leçons à Trump, en affirmant que la pression n’a pas d’effet sur l’Iran. Mais Trump ne changera pas.

Aujourd’hui, personne en Iran ne peut dire à Ali Khamenei qu’il serait préférable de négocier avec Trump. C’est pourquoi, à ce stade, les risques d’une confrontation militaire avec l’Iran sont considérables. »

Face à cette situation de blocage, « des fractures se sont ouvertes », explique une source proche du pouvoir à Téhéran qui préfère rester anonyme. « D’un côté, les fils des dirigeants iraniens, qui étaient prêts à se sacrifier pour la guerre, se retrouvent désormais à vendre du pétrole à Dubaï en contournant les sanctions. De l’autre, les caisses sont vides. La situation est tellement désastreuse qu’en cas de soulèvement, il est incertain qu’un policier accepte de se tenir devant la foule pour un salaire de 300 dollars [275 euros] par mois. Beaucoup souhaitent la disparition du Guide d’une manière ou d’une autre et la reprise du pouvoir par des gens plus pragmatiques. »

Parmi les Iraniens, bien que la crainte d’un conflit ouvert avec Israël et, peut-être, avec les Etats-Unis, remonte en flèche, un optimisme inexplicable continue de se faire sentir. Nombreux sont ceux qui affirment : « La situation actuelle n’est plus tenable », sans pourtant s’aventurer à envisager une véritable issue.

Ghazal Golshiri