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En Iran après la guerre, la déprime, la répression et le « tribunal spectacle »

People walk next to a mural with a picture of Iran's Supreme Leader, Ayatollah Ali Khamenei, on a street, early hours of ceasefire, in Tehran, Iran, June 24, 2025. Majid Asgaripour/WANA (West Asia News Agency) via REUTERS ATTENTION EDITORS - THIS PICTURE WAS PROVIDED BY A THIRD PARTY TPX IMAGES OF THE DAY

Depuis la fin de la campagne militaire menée par Israël puis les États-Unis, le pouvoir de Téhéran multiplie les arrestations. Les Iraniens reprennent péniblement le cours de leur vie, la peur au ventre.

Par Ariane Riou, Robin Korda et Joanna Blain

Un mystérieux texto s’affiche en farsi sur l’écran d’Hani. Il est 8h05, ce mercredi. « En vous remerciant pour votre collaboration responsable dans l’identification des mouvements menaçant la sécurité, il vous est demandé de poursuivre cette démarche et de continuer à signaler tout cas suspect. » Message signé du ministère du renseignement iranien.

En Iran, le régime des mollahs encourage la délation. Menace. Réprime. Depuis la fin de la guerre de douze jours lancée par Israël, une chasse aux sorcières sévit. « Ce type de messages, on en reçoit souvent en ce moment… », raconte Hani dans un vocal envoyé sur WhatsApp. Les appels « passent mal ». La connexion Internet s’interrompt souvent. Parfois, c’est tout le courant qui saute.

Plus de 700 interpellations ont eu lieu en quelques semaines

Le conflit a laissé des traces. Sur les bâtiments touchés par les bombes. Dans les têtes, aussi. À Ispahan, au centre du pays, Hani, 34 ans, vit près d’un centre militaire. Cette chercheuse dans un laboratoire se souvient de ses nuits sans sommeil, teintées d’explosions et de stress. Les bombes israéliennes ont quitté le ciel de l’Iran le 24 juin. Reste la peur.

Le régime des mollahs, paranoïaque, lutte pour sa survie. Son arme habituelle prévaut : la répression. Pour préparer la guerre, le Mossad, service de renseignement israélien, a pénétré les plus hautes sphères de l’État iranien. Aux yeux du monde, les services secrets de Téhéran sont humiliés.

Alors, les arrestations de ceux que le régime taxe d’espions s’opèrent à tour de bras. Les exécutions subites distillent la terreur dans la population. Plus de 700 interpellations ont eu lieu en quelques semaines. Au moins six suspects ont été pendus.

« Le but c’est de faire peur »

Les deux otages français, Cécile Kohler et Jacques Paris, jusqu’ici incarcérés pour espionnage pour la France, sont soudain inculpés pour espionnage pour le Mossad. Dans les geôles iraniennes, leur santé s’abîme, leurs chances de sortie s’amoindrissent. « Les médias iraniens en parlent à la télévision. Le but, c’est de faire peur. C’est du tribunal spectacle », souffle Mojtaba, 39 ans.

Depuis quelques jours, cet Iranien observe Arak, sa ville moyenne au sud-ouest de Téhéran, se « barricader ». Les carrefours sont assaillis de policiers et de militaires. Des checkpoints barrent les entrées et les sorties de la commune.

Dans son entreprise de BTP, les voitures sont fouillées chaque matin à la recherche de drones et d’armes. « On a le sentiment d’être surveillés tout le temps, s’inquiète l’ouvrier par téléphone. Tout le monde peut être arrêté. » Plus de 250 000 Afghans ont été expulsés en moins d’un mois.

« Tous les jours, il y a des arrestations »

Certains des amis de Mojtaba ont été convoqués au commissariat. « Tous ceux qui ont des antécédents avec le régime sont interrogés », assure-t-il. Maxime, Franco-Iranien de 60 ans, a fui l’Iran en taxi au début de la guerre. « Tous les jours, il y a des arrestations. Quand j’étais encore dans la capitale, les Gardiens de la révolution ont fouillé plusieurs fois mes valises, mes poches… »

Le régime des mollahs, garant de la République islamique d’Iran, garde un souvenir amer des grandes manifestations de 2022. À l’époque, Mahsa Amini, jeune Kurde, meurt après avoir été placée en garde à vue pour un voile mal ajusté. La rue se soulève. Le régime réprime les rassemblements dans le sang. La communauté internationale s’indigne.

Cette fois, les mollahs veulent éviter les débordements. Dès le mois de juin, pendant que les bombes de l’État hébreu s’abattent sur le pays, le Parlement vote une nouvelle loi pour élargir les critères d’inculpation pour espionnage. Hami, 36 ans, s’en réjouit. « Avec cette guerre, on a compris qu’il y avait des espions qui vivaient parmi nous, argue ce salarié dans le commerce international basé à Téhéran. Mon image des contrôles a changé : là, c’est pour notre sécurité. »

Son groupe d’amis a même demandé aux autorités s’il pouvait participer et les aider. À l’entendre, la guerre aurait soudé une partie de la population autour du régime. Hami compare le pouvoir à « un père violent, qui fume, ne communique pas mais défend l’intérêt et la sécurité de sa famille ».

La guerre a fait plonger un peu plus l’économie

La vie reprend peu à peu son cours. « Mais il y a toujours cette crainte en nous qu’une nouvelle guerre explose », tempère Maryam, 39 ans. Le conflit a fini d’achever l’économie du pays. Des secteurs entiers sont à l’arrêt. Les Iraniens sont contraints de vivre depuis des années sous le poids de sanctions occidentales, d’un chômage de masse et d’une hausse des prix de 30 % en moyenne chaque année.

« Déjà avant la guerre, boire un café à Téhéran était devenu un luxe », souffle Zahra, 44 ans.

Faute de moyens, la jeunesse retourne aux infusions, à l’eau de rose, aux sirops artisanaux que préparent les parents à base de quelques fruits. Les ouvriers ont abandonné les œufs dans leurs sandwichs. Les amis qui se croisent refusent poliment d’être invités les uns chez les autres.

Mojtaba, 39 ans, n’a pas reçu son salaire depuis dix jours. Dans son entreprise, sept personnes ont été licenciées. « Moi, je suis propriétaire et je n’ai pas de famille, donc je peux encore tenir », confie le trentenaire. Ses collègues mariés, avec des enfants, empruntent déjà de l’argent pour tenir le quotidien. Chaque sou compte.

Le voile ? « Ce n’est plus un sujet en ce moment »

Maryam tente de se concentrer sur le positif. Depuis quelques mois, le régime a lâché du lest sur la condition des femmes. La mère de famille ne porte plus le voile, pourtant obligatoire. « Ce n’est plus un sujet en ce moment. C’est beaucoup moins strict qu’avant. » La plupart des mamans d’élèves, à l’école de sa fille, ne l’arboreraient plus non plus.

Marjan (le prénom a été modifié), 46 ans, s’est libérée il y a trois ans. Derrière le comptoir de sa pharmacie à Téhéran, elle accueille les clients en jean et tee-shirt, les cheveux libres. « Les gens s’habituent. » Avant, elle recevait des PV pour avoir conduit sans son voile. Sa voiture avait même été immobilisée deux fois.

Être une femme à Téhéran nécessite d’avoir assimilé toute une science. Les brigades des mœurs rôdent dans les zones populaires, plus que dans les quartiers riches. Une jeune Iranienne connaît par cœur les artères à éviter. « Quand je suis ivre ou que je sors de soirée, je prends un taxi plutôt que le métro », confie Zahra. Le chauffeur ne dit rien. « Il est avec nous », veut-elle croire. Peut-être a-t-il une fille…

« Là, tout ce qu’on veut, c’est se reconstruire »

Depuis quelques jours, Motjaba couve un « sentiment d’échec », comme l’impression « d’être cassé à l’intérieur ». « On sent que les perspectives se sont réduites… Le changement s’éloigne, redoute-t-il. Ce qu’on était en train de créer comme mouvement social après 2022 a été retardé de 10, 20, 50 ans. » En secret, Hani espérait que « la guerre change les choses ». « Que l’Iran soit libre et devienne une démocratie. »

Ses espoirs s’amenuisent. Les destructions, dans le pays, ont été massives. Mais le régime tient. Certaines institutions, comme les Gardiens de la révolution, l’âme idéologique et répressive du régime, pourraient même sortir renforcées de la guerre.

« C’est à se demander s’ils n’ont pas fait exprès de répliquer à Israël », grince Mojtaba.

Maryam ne se dit pas non plus « heureuse » de la situation. Mais sa priorité est ailleurs : « On ne pense pas à faire tomber le régime. Là, tout ce qu’on veut, c’est se reconstruire. »