Le mouvement armé peine à honorer ses engagements financiers envers ses partisans depuis la guerre contre Israël.
L’Opinion
BEYROUTH — Voilà trois mois, le Hezbollah a conclu un cessez-le-feu, mais les dégâts causés par les forces armées israéliennes au groupe chiite soutenu par l’Iran se font maintenant sentir. Son armée est sévèrement affaiblie et ses ressources financières se sont épuisées au point qu’il peut difficilement honorer ses engagements envers ses partisans.
Le Hezbollah, désigné comme organisation terroriste par les Etats-Unis, fonctionne depuis longtemps comme un vaste Etat dans l’Etat libanais, fournissant des emplois et des services sociaux à ses membres. Il apporte également un soutien financier aux familles de ses combattants tués ainsi qu’aux partisans ayant perdu leur maison ou leur entreprise pendant les conflits.
Cependant, la spirale des factures liées à sa dernière guerre ne lui permet plus de s’acquitter de ses obligations.
Selon certains habitants, le principal organisme bancaire du groupe, Al-Qard Al-Hassan, a gelé ces dernières semaines les paiements des chèques d’indemnisation déjà émis. Des militants affirment n’avoir reçu aucune aide.
« Je me pose beaucoup de questions sur les raisons pour lesquelles nous avons été entraînés dans ce conflit, les souffrances que nous avons endurées et qui va nous dédommager pour nos pertes », s’inquiète Jalal Nassar, propriétaire d’un restaurant dans la ville libanaise de Tyr.
Il indique qu’il a dû débourser 100 000 dollars pour remettre en état son établissement, endommagé par les frappes aériennes. Selon M. Nassar, une entité de construction et d’ingénierie liée au Hezbollah est venue évaluer le coût des réparations, mais n’a apporté aucune aide. La guerre, dit-il, « était une erreur ».
En novembre, la Banque mondiale a estimé que les dégâts matériels s’élevaient à 3,4 milliards de dollars et qu’environ 100 000 habitations avaient été partiellement ou totalement détruites. Les veuves et les familles des soldats morts au combat ont également besoin d’assistance et les blessés doivent recevoir des soins médicaux et un revenu régulier.
Les difficultés financières du Hezbollah sont exacerbées par les efforts du nouveau gouvernement libanais, que soutient Washington, pour empêcher l’Iran, son principal allié, de continuer à financer le mouvement chiite. La chute du régime de Bachar al-Assad en Syrie lui a également porté un coup, entraînant la fermeture d’une voie d’approvisionnement en armes et en liquidités dans un pays autrefois allié du mouvement islamiste et de Téhéran.
Le « Parti de Dieu » reconnaît publiquement son affaiblissement tant financier que militaire, mais il semble pour l’instant, au moins en apparence, bénéficier d’un soutien robuste. Le nouveau secrétaire général du mouvement chiite, Naïm Qassem, affirme que le groupe entend reconstruire ce qui a été détruit, mais il exhorte l’Etat libanais à assumer lui aussi ses responsabilités.
Des centaines de milliers de personnes ont assisté dimanche aux funérailles de Hassan Nasrallah, l’ancien leader du Hezbollah tué par une frappe aérienne israélienne en septembre. Au Liban, beaucoup vénèrent encore l’organisation et son chef défunt pour avoir fondé l’une des milices indépendantes les plus puissantes au monde contre Israël et pour être devenue une force politique au Liban.
« Le Hezbollah n’a plus les moyens de rémunérer ses membres », observe Lina Khatib, chercheuse associée du groupe de réflexion Chatham House. La loyauté envers le mouvement islamiste « risque de s’estomper à terme lorsque ses partisans se rendront compte qu’il ne peut plus leur offrir d’aides financières, politiques ou en matière de sécurité ».
Le Hezbollah a été fondé au début des années 1980 à la fois comme une milice destinée à détruire Israël et comme une faction politique capable de représenter la communauté musulmane chiite au Liban, qui représente environ un tiers des 5,7 millions d’habitants du pays. Grâce à la contribution financière de l’Iran, le parti islamiste a pu instaurer un système de sécurité sociale pour les chiites libanais, qui fournit des soins de santé, des services bancaires et des emplois à ses milliers de membres.
Selon les estimations d’experts, l’organisation a pu, ces dernières années, maintenir un budget d’environ un milliard de dollars par an pour les prestations sociales, les salaires et d’autres coûts, hors dépenses militaires.
Néanmoins, ses activités ont été profondément affectées à la fin de l’année dernière, lorsqu’Israël a intensifié un conflit qui couvait depuis longtemps par des frappes aériennes et des attaques clandestines. Le début des hostilités remonte à l’assaut du 7 octobre 2023 mené par le groupe militant palestinien Hamas dans le sud d’Israël, qui, selon les autorités israéliennes, a fait environ 1 200 morts et déclenché la guerre dans la bande de Gaza. Le Hezbollah a alors commencé à attaquer Israël au moyen de tirs de missiles et de drones en signe de solidarité avec les Palestiniens.
L’offensive israélienne a éliminé les hauts dirigeants du Hezbollah, tué des milliers de personnes et contraint plus d’un million de Palestiniens à fuir temporairement. Le sud du Liban et certains quartiers de la capitale, Beyrouth, où la milice chiite a rallié des soutiens, ont été les plus touchés.
Depuis le cessez-le-feu de fin novembre, le Hezbollah s’efforce de se réorganiser. Des comités qu’il dirige estiment que des centaines de milliers d’habitations ont été endommagées et le groupe islamiste a versé 630 millions de dollars aux personnes ayant perdu leur maison ou subi des dégâts, selon un responsable de son organisme bancaire Al-Qard Al-Hassan.
Les locataires de logements ont chacun obtenu entre 12 000 et 14 000 dollars par an pour leur loyer, ainsi que des indemnisations supplémentaires pour le mobilier.
Des signaux plus récents illustrent toutefois la crise financière du parti. Fadwa Hallal, une habitante de la ville de Habboush, dans le sud du Liban, raconte avoir reçu un chèque d’indemnisation de 7 000 dollars pour les dommages causés à son domicile le 28 janvier, mais qu’Al-Qard Al-Hassan l’a informée par la suite ne pas être en mesure d’effectuer le paiement pour le moment. Mme Hallal a finalement encaissé son chèque au bout d’un mois environ, mais elle a entendu dire que d’autres personnes avaient dû attendre plus longtemps, précise-t-elle.
Le Hezbollah semble accorder la priorité aux paiements de ceux qui doivent trouver une solution d’hébergement d’urgence, plutôt qu’aux entreprises sinistrées, déplore Moussa Chmaysani, concessionnaire automobile et président de l’Association des commerçants de la province libanaise de Nabatieh.
« J’ai reçu 12 800 dollars d’aide d’urgence pour trouver un hébergement », dit-il. « Mais j’ai perdu près de 100 000 dollars de stocks et je n’ai pas reçu un centime d’indemnisation. »
D’autres coûts montent également en flèche, notamment les paiements pour les blessés nécessitant des soins médicaux et un revenu régulier. Une personne proche du Hezbollah confie au Wall Street Journal que le groupe a perdu 5 000 combattants dans le conflit et que plus de 1 000 ont été grièvement blessés, dont beaucoup ont dû être amputés ou ont perdu la vue de façon permanente.
Israël a évacué la plupart de ses troupes du sud du Liban, mais a déclaré qu’il resterait présent dans cinq zones stratégiques le long de sa frontière avec le Liban. Le président libanais nouvellement élu, Joseph Aoun, a annoncé que l’armée du pays était prête pour un transfert de contrôle.
Selon une personne proche du mouvement chiite, une note interne a été envoyée aux unités de combat, ordonnant aux militants qui ne sont pas originaires des régions du sud du Liban de quitter leurs positions et autorisant les troupes de l’armée libanaise à prendre le contrôle de la zone conformément à l’accord de trêve.
« Le parti a subi de lourdes pertes », ajoute cette source, certaines unités militaires ayant été complètement démantelées. Cependant, le Hezbollah a partiellement reconstitué ses effectifs avec des combattants en poste en Syrie, et certaines unités ainsi renforcées sont prêtes à reprendre les combats. « Le groupe a été affaibli, mais il n’est pas vaincu », conclut-elle.
Néanmoins, l’élection de M. Aoun en janvier, avec l’appui de la Maison Blanche, a été perçue comme le signe d’une perte d’influence du Hezbollah au Liban. Le pays a depuis formé un gouvernement comptant moins de parlementaires affiliés au « Parti de Dieu ». Les rivaux du mouvement l’accusent depuis de nombreuses années de fragiliser ou de contrôler les institutions de l’Etat.
Les Etats-Unis et les pays européens espèrent maintenant que M. Aoun pourra réduire l’emprise du Hezbollah sur l’économie et l’Etat du Liban. Mais le nouveau président s’attaque à une tâche titanesque : le pays traverse une crise économique depuis des années et aura besoin de l’aide de donateurs étrangers pour se reconstruire, mais peu se sont engagés pour l’instant à lui apporter des fonds.
Le Hezbollah ayant demandé au gouvernement d’absorber la majeure partie des coûts de reconstruction, on peut penser qu’il cherchera à utiliser le gouvernement Aoun pour apaiser la frustration de ses membres et dissimuler son incapacité à tenir ses engagements financiers, explique Mohanad Hage Ali, directeur adjoint de la recherche du Centre Carnegie Malcolm H. Kerr pour le Proche-Orient, à Beyrouth.
« Le gouvernement libanais veut affaiblir le rôle du Hezbollah dans la société, mais il lui faudra tenir ses promesses », conclut-il.