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Attaques antisémites : l’Australie piégée par l’Iran

Synagogues attaquées, drapeau de Daech en manifestation : le régime des mollahs infiltre l’Australie. La gauche locale, elle, continue de détourner le regard.

Par Quillette* (traduction : Peggy Sastre)
Publié le 26/08/2025 à 20h30


Le 3 août, des dizaines de milliers d’Australiens ont traversé le pont du port de Sydney lors d’une « Marche pour l’humanité – Sauvez Gaza ». En tête du cortège défilaient l’ancien ministre des Affaires étrangères Bob Carr, le fondateur de WikiLeaks Julian Assange, la maire de Sydney Clover Moore et le député fédéral Ed Husic. Mais juste derrière ces figures politiques et médiatiques se dressait, bien en vue, un grand homme barbu brandissant le portrait de l’ayatollah Ali Khamenei. Peu après, Carr allait assurer n’avoir jamais vu cette pancarte. Sauf que, sur ses propres réseaux sociaux, il avait posté des photos où il était difficile de la rater.

La symbolique a quelque chose de grotesque : au cœur de la plus grande manifestation propalestinienne jamais organisée en Australie trônait l’effigie du guide suprême du principal État sponsor du terrorisme international. Et cela ne s’arrête pas là : à cette « marche pour l’humanité », on n’aura pas seulement vu le portrait de Khamenei. Il y eut aussi le drapeau noir de la chahada, fameux emblème notamment exploité par Daech. Et par qui était-il brandi ? Par un dénommé Youssef Uweinat, recruteur de l’État islamique déjà condamné et sorti de prison seulement l’an dernier.


Le chaos à l’étranger semé par l’Iran

Cette mise en scène a pris une dimension encore plus inquiétante à la lumière des récentes révélations. Le 26 août, le Premier ministre Anthony Albanese, accompagné de Mike Burgess, directeur général de l’Agence australienne de renseignement de sécurité (Asio), a confirmé que la République islamique d’Iran était derrière l’incendie criminel de la synagogue Adass Israel à Melbourne et celui du Lewis’ Continental Kitchen, un restaurant juif de Sydney. En réponse, l’Australie a expulsé l’ambassadeur iranien – une première depuis la Seconde Guerre mondiale –, suspendu les activités de sa représentation diplomatique à Téhéran et annoncé une loi visant à inscrire le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) sur la liste des organisations terroristes.

Les enquêteurs affirment que le CGRI a eu recours à un réseau de proxys, en s’appuyant notamment sur des relais du crime organisé, et qu’ils ont pu remonter les flux financiers – y compris des transactions en cryptomonnaie – jusqu’aux agents locaux. D’autres actions sont également suspectées.

Depuis la révolution islamique de 1979, l’Iran s’appuie de fait sur des proxys pour semer le chaos à l’étranger, tout en muselant la dissidence sur son propre sol. Le Hamas à Gaza, le Hezbollah au Liban ou encore les Houthis au Yémen bénéficient de son soutien financier, militaire et logistique.

Pour citer un article de Quillette paru l’an dernier, et signé des chercheurs Pierre James et Suha Hassen : « La République islamique apporte au Hamas formation, armement et un financement annuel avoisinant les 100 millions de dollars. De plus, non seulement les plus hautes autorités iraniennes ont donné leur aval à l’attaque [du 7 octobre 2023], mais Téhéran a aussi assuré, dans les mois qui l’ont précédée, un entraînement spécifique – notamment à l’usage des parapentes – et fourni des armes ainsi que des fonds supplémentaires expressément dédiés à la préparation de cette atrocité. »

Ces supplétifs sont classés comme organisations terroristes par la plupart des démocraties, mais Téhéran les présente comme des « mouvements de libération ». En réalité, ils servent les intérêts stratégiques du régime : semer l’instabilité chez les voisins, frapper des cibles occidentales et nourrir son rêve d’anéantissement d’Israël.

L’attentat de l’Amia en Argentine en 1994 – 85 morts, près de 300 blessés –, les massacres de civils israéliens par le Hamas ou encore les tirs de roquettes des Houthis en mer Rouge portent tous la marque de l’Iran. Selon le département d’État américain, Téhéran a dépensé plus de 16 milliards de dollars entre 2012 et 2020 pour soutenir Bachar el-Assad et ses milices alliées en Syrie. Le Hezbollah, à lui seul, a perçu plus de 700 millions de dollars durant cette période. L’emprise iranienne s’est ainsi étendue à l’Europe, à l’Asie et, comme on le constate désormais, jusqu’à l’Australie.


La vision manichéenne des Occidentaux propalestiniens

Et pourtant, nombre de militants occidentaux persistent à idéaliser la cause palestinienne en la ramenant à un schéma binaire et caricatural : les « opprimés » contre les « oppresseurs », les colonisés contre les colonisateurs. Dans ce récit, l’histoire du conflit s’efface, le Hamas disparaît du paysage, et la théocratie autoritaire iranienne – un régime islamiste qui exécute ses dissidents et fouette les femmes « coupables » d’avoir dévoilé leurs cheveux – est commodément passée sous silence.

Cette vision manichéenne a de quoi offrir un confort idéologique aux radicaux de gauche, mais elle écrase la complexité du réel et pervertit le discernement moral. Cette insensibilité a éclaté au grand jour avec Judith Butler qui, au lendemain des massacres du 7 Octobre, affirmait : « Le soulèvement du 7 Octobre était un acte de résistance armée (…) Ce n’est pas une attaque terroriste, et ce n’est pas une attaque antisémite. Il résulte d’un état d’asservissement et est dirigé contre un appareil d’État violent. »

Dans un entretien récent avec Quillette, la poétesse et mémorialiste iranienne Roya Hakakian revient sur l’alliance contemporaine entre la gauche occidentale et les islamistes, qu’elle fait remonter à la révolution iranienne, vécue alors qu’elle était une jeune femme à Téhéran. À bien des égards, explique-t-elle, l’ayatollah Khomeini fut un précurseur : pour la première fois, un fondamentaliste islamiste prenait la tête d’un mouvement révolutionnaire laïc. Aux yeux des élites intellectuelles de gauche de l’époque, il incarnait une figure de la résistance à la tyrannie, aux côtés de Mahatma Gandhi, Nelson Mandela ou Daniel Ortega. Sa foi religieuse était perçue comme un engagement spirituel strictement personnel, et sa tenue de religieux comme un simple costume traditionnel.

Personne n’avait anticipé qu’il exploiterait la vague de ferveur révolutionnaire pour s’emparer du pouvoir, établissant ainsi un précédent qui allait inspirer les terroristes de Daech, d’Al-Qaïda, du Hezbollah et du Hamas, et transformer l’expression « Allahu Akbar » d’un chant religieux en cri de guerre politique. La révolution iranienne a révélé combien les causes de gauche pouvaient être récupérées par les islamistes. Ce qui aurait dû servir de signal d’alarme pour les gouvernements démocratiques reste, hélas, une leçon que le monde continue d’apprendre dans la douleur.

Mais les universitaires et militants marginaux ne sont pas les seuls à faire preuve de jobarderie face aux ambitions et aux manœuvres de l’Iran islamiste. En Australie, des élus comme Ed Husic, Mehreen Faruqi, Clover Moore ou Jenny Leong ont défilé sur le Harbour Bridge aux côtés de recruteurs de Daech et de manifestants brandissant des portraits de l’ayatollah. Quant à l’ancien ministre des Affaires étrangères Bob Carr, il dénonce l’influence prétendue du « lobby israélien » et imagine des réseaux conspirateurs, alors même que ceux de Téhéran sèment la terreur en orchestrant des attaques au cocktail Molotov dans nos banlieues.


Lorsque des Australiens défilent sous les portraits de Khamenei ou agitent le drapeau noir de Daech, ils ne portent pas la cause de « l’humanité ». Ils offrent, volontairement ou non, une légitimité à des forces qui incendient des synagogues, massacrent des civils et rêvent d’un djihad planétaire. Ce qui se présente d’abord comme une manifestation tendance peut vite se muer en tribune pour extrémistes, qu’il s’agisse d’agents de Téhéran ou de recruteurs locaux profitant de la guerre à Gaza pour endoctriner les mécontents. Le régime iranien n’est pas un péril lointain : il a déjà laissé sa trace dans les incendies criminels de Melbourne et de Sydney. Défiler sous ses emblèmes tout en fermant les yeux sur ses victimes ne traduit pas de la clarté morale, seulement une dangereuse naïveté.

Ce dont nous avons aujourd’hui besoin, c’est de rigueur morale et du courage nécessaire pour affronter les extrémistes qui défilent dans nos rues avec la même fermeté que celle que nous opposons à ceux de l’étranger. Et il convient aussi de se demander : pourquoi le gouvernement australien a-t-il mis si longtemps à classer le CGRI parmi les organisations terroristes ?


* Cet article est paru dans Quillette, un journal australien en ligne qui promeut le libre-échange d’idées sur de nombreux sujets, même les plus polémiques. Cette jeune parution, devenue référence, cherche à raviver le débat intellectuel anglo-saxon en donnant une voix à des chercheurs et des penseurs qui peinent à se faire entendre. Quillette aborde des sujets aussi variés que la polarisation politique, la crise du libéralisme, le féminisme ou encore le racisme. Le Point publie chaque semaine la traduction d’un article paru dans Quillette.