Site icon ELNET

Pour Israël, les islamistes qui tentent d’unifier la Syrie représentent une menace croissante

The Wall Street Journal


Pendant que Tsahal vise de nouvelles zones du sud de la Syrie, les dirigeants israéliens essaient de convaincre les grandes puissances mondiales quʼil ne faut pas de pouvoir central trop fort à Damas

Ces derniers jours, Tsahal a ciblé davantage de sites militaires dans de nouvelles zones du sud de la Syrie. – CHINE NOUVELLE/SIPA/CHINE NOUVELLE/SIPA

Pendant deux décennies, Israël a eu Bachar al-Assad comme voisin, un dictateur dont le pouvoir a été affaibli par les divisions religieuses. Aujourdʼhui, le pays tente de neutraliser ce que ses services de sécurité considèrent comme une menace : les islamistes qui, appuyés par la Turquie, essaient dʼunifier la Syrie.

Ces derniers jours, lʼarmée israélienne a ciblé davantage de sites militaires dans de nouvelles zones du sud de la Syrie. Objectif : empêcher le pouvoir en place de mettre la main sur des armes. Mardi, Israël a annoncé le déblocage dʼune enveloppe de plus dʼun milliard de dollars en faveur des Druzes du nord du pays, une décision qui, selon des experts, est destinée à inciter les membres de cette petite communauté à convaincre les Druzes syriens de rejeter le nouveau gouvernement.

Israël défend aussi, auprès des grandes puissances mondiales, lʼidée dʼun système fédéral en Syrie ; un ensemble de régions autonomes découpées en fonction de critères ethniques avec une frontière sud démilitarisée — un projet rejeté par le pouvoir en place à Damas.

« Israël a légitimement intérêt à ce quʼaucune menace ne puisse émaner de Syrie, mais le pays a également intérêt, comme les Etats Unis, à ce quʼune transition menant à la stabilité sʼy produise »

La semaine dernière, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a appelé à une démilitarisation du sud de la Syrie, ajoutant que les forces qui dirigent le pays et avaient autrefois été proches dʼal Qaïda ne devaient pas y être acceptées. Lʼannonce de lʼaide aux Druzes intervient après quʼIsraël a menacé de lancer une opération militaire pour protéger la minorité druze en Syrie alors que, le week-end dernier, des tensions ont éclaté entre certains membres de la communauté et les forces de lʼordre dans la banlieue de Damas.

« Nous nʼaccepterons pas que le nouveau régime islamiste radical sʼen prenne aux Druzes », a affirmé M. Netanyahu samedi.

Si, dans lʼimmédiat, Israël cherche à protéger ses frontières et créer une zone tampon, ses décisions témoignent aussi de sa vision dʼune Syrie devenue Etat fédéral doté dʼune zone autonome contrôlée par les Druzes, qui lui sont favorables. Cette Syrie faite dʼentités régionales globalement autonomes aurait un pouvoir central faible puisque lʼessentiel des décisions seraient prises au niveau local, notamment dans les régions qui bordent la frontière avec Israël.

« Une Syrie stable ne peut être quʼune Syrie fédérale composée dʼentités autonomes dans laquelle les différents modes de vie sont respectés », a déclaré Gideon Saʼar, le ministre israélien des Affaires étrangères, lors dʼune réunion avec des ministres à Bruxelles le 24 février dernier.

Le problème dʼune telle solution, cʼest quʼelle laisse la Syrie affaiblie et divisée, ce qui pourrait finir par provoquer un retour de flamme.

« Israël a légitimement intérêt à ce quʼaucune menace ne puisse émaner de Syrie, mais le pays a également intérêt, comme les Etats-Unis, à ce quʼune transition menant à la stabilité sʼy produise », estime Daniel Shapiro, ambassadeur des Etats-Unis en Israël du temps de lʼadministration Obama. Si les [forces de défense israéliennes, autrement dit lʼarmée] continuent dʼêtre présentes en territoire syrien et dʼintervenir de façon agressive, Israël finira inévitablement par devenir un problème pour la politique intérieure de la Syrie », ajoute-t-il.

Il est peu probable que les nouveaux dirigeants syriens acceptent de voir leur pouvoir dilué dans un système fédéral, mais cela ne décourage pas Israël. Dans les trois mois qui ont suivi la chute de Bachar al-Assad, Israël a ciblé les infrastructures militaires pour empêcher les armes de tomber entre les mains des combattants de Hayat Tahrir alCham (HTC) et affaiblir les capacités militaires des nouveaux leaders.

Mardi, lors dʼun sommet organisé au Caire, le président syrien Ahmed al-Charaaa a dénoncé les actions menées par Israël sur le territoire syrien.

« Depuis quʼIsraël occupe le plateau du Golan, depuis 1967, les droits de notre peuple ont constamment été violés », a-t-il dénoncé.

Ce qui inquiète tout particulièrement Israël, cʼest aussi le rôle que joue la Turquie en Syrie : pour la première fois, lʼun de ses principaux concurrents sur le plan géopolitique est aux portes du pays.

Premier pays musulman à reconnaître lʼexistence dʼIsraël, la Turquie est alliée des Etats-Unis et membre de lʼOrganisation du traité de lʼAtlantique Nord (OTAN). Mais les relations entre Jérusalem et Ankara sont tendues depuis longtemps, et les choses ont empiré avec le début de la guerre à Gaza. La Turquie a soutenu le mouvement rebelle qui a renversé le régime Assad en décembre dernier alors quʼIsraël affiche sa défiance vis-à-vis de

M. al-Charaaa, notamment en raison de ses liens passés avec al- Qaïda. Israël et la Syrie sont ennemis depuis 1948 ; Damas avait alors été lʼun des premiers pays à attaquer le tout jeune Etat israélien.

De son côté, Israël cherche à se rapprocher des Druzes qui vivent sur son sol et en Syrie. Pour le pouvoir, les liens familiaux et les enjeux sécuritaires sont une occasion de forger une alliance avec un groupe minoritaire, mais puissant, qui vit près de sa frontière.

« Pour quʼIsraël sʼancre de façon stratégique en Syrie, il faut créer cette alliance avec les Druzes », résume Amir Avivi, ancien haut responsable militaire qui dirige désormais un think tank en Israël.

Une partie de la communauté druze dit avoir peur des nouveaux maîtres de Damas ; elle appelle à soutenir Israël et faire sécession

Le projet dʼaide financière témoigne de la bonne volonté dʼIsraël vis-à-vis des Druzes qui vivent sur son sol, des Druzes qui se plaignent dʼêtre traités comme des citoyens de seconde zone, en particulier en matière de logements et de permis de construire.

Jérusalem espère aussi que la Russie, qui a abandonné ses bases à la chute du régime Assad, fera son retour en Syrie, ajoute M. Avivi, ce qui permettrait de contrer la Turquie. Ces dix dernières années, Israël a mené des centaines de frappes aériennes contre des actifs militaires liés à lʼIran en Syrie ; le pays a également mis en place une ligne de communication avec Moscou.

Lundi, des frappes aériennes israéliennes ont ciblé un dépôt dʼarmes qui appartenait au gouvernement al-Assad à Qardaha, berceau de la dynastie où est enterré Hafez, le père de Bachar. Il se trouvait à moins de soixante-dix kilomètres de Tartous, une ville portuaire qui abrite lʼune des deux bases russes en Syrie, lʼautre se trouvant dans la même province.

Une partie de la communauté druze dit avoir peur des nouveaux maîtres de Damas ; elle appelle à soutenir Israël et faire sécession.

Beaucoup dʼautres Druzes, au contraire, ont défilé dans les rues et dénoncé les ambitions israéliennes, affirmant vouloir une Syrie unie. Preuve de ces divisions, lors dʼune manifestation qui sʼest tenue il y a quelques jours, quelquʼun a brandi un drapeau israélien, qui lui a été arraché et a été brûlé.

Certains Syriens ont peur quʼIsraël ait des ambitions expansionnistes. Pour eux, le pays contrôle dʼores et déjà de facto Qouneitra, lʼune des trois provinces syriennes frontalières dʼIsraël.

Une partie des leaders druzes ont peur quʼà long terme, les objectifs régionaux dʼIsraël engendrent davantage de volatilité en Syrie et creusent les divisions entre les différentes communautés qui y vivent, avec à la clé un risque de chaos à la frontière.

« Notre position est claire, affirme Laith Balous, leader de la milice druze à Soueïda, une ville de Syrie. Nous ne voulons pas la guerre et nous ne voulons pas de partition religieuse de la Syrie. »

(Traduit à partir de la version originale en anglais par Marion Issard)