Nucléaire iranien : Accord-cadre de Lausanne … Et après ?

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Jeudi 2 avril dernier, à l’issue d’un marathon diplomatique, les grandes puissances (Chine, Russie, France, Allemagne et Grande-Bretagne) et l’Iran sont parvenus à définir un accord- cadre sur le nucléaire iranien, prélude à un accord définitif qui doit être conclu le 30 juin. Officiellement, les progrès réalisés lors de ces négociations ont été « suffisants » pour envisager un nouveau cycle de pourparlers au début de l’été. Le président iranien Hassan Rohani a confirmé un accord sur les « principaux paramètres » et le ministre des Affaires étrangères iranien, Mohammad Javad Zarif, s’est dit prêt à commencer sans attendre la rédaction d’un accord global et définitif.

Depuis les autocongratulations qui ont suivi l’annonce de cet accord sur le contrôle de son programme nucléaire, les doutes ne cessent de grandir sur la réalité des engagements pris. Car l’accord de principe, non signé, auquel tenait tant l’administration américaine, n’est pas le même selon les versions rendues publiques à Washington, Téhéran et Paris. Barack Obama estime qu’il a empêché l’Iran d’obtenir l’arme nucléaire tandis que le régime iranien se targue d’avoir fait fléchir son adversaire. Si la technicité de l’accord est d’une rare complexité, c’est surtout sa portée négative qu’il faut craindre.

ELNET vous propose de revenir sur les modalités de cet accord-cadre du 2 avril afin de mieux en cerner les implications régionales et mondiales qui en découlent.

L’accord qui cadre les désaccords

De 2005 à 2013, l’Iran a refusé d’entrer dans une négociation, malgré les efforts de la communauté internationale, malgré l’attitude ouverte et ferme qu’a été celle du Groupe des grandes puissances, mandaté par le Conseil de sécurité. Cette attitude lui a valu une série de résolutions de l’ONU dont la 1737, adoptée le 23 décembre 2006 et qui impose des sanctions contre l’Iran pour stopper son programme d’enrichissement d’uranium, interdisant la fourniture de matériels et de technologies liés au nucléaire et gelant les capitaux des individus et des sociétés liés au programme d’enrichissement. L’ancien président Mahmoud Ahmadinejad avait alors déclaré : « C’est un bout de papier froissé avec lequel ils essaient de faire peur aux Iraniens » et affirmé que l’Iran démarrait dès ce jour l’installation de 3000 nouvelles centrifugeuses. C’est pourquoi lorsqu’on lit les détails de l’accord-cadre du 2 avril 2015, on peine à croire que l’Iran accepte les points énoncés lors de la conférence de presse qui s’en est suivie. Les Occidentaux font des concessions en reconnaissant à l’Iran le droit de poursuivre, à un rythme maîtrisé, ses recherches en matière de nucléaire civil ; tandis que Téhéran, de son côté, accepte une réduction de 98% de ses stocks d’uranium enrichi pendant quinze ans et la diminution du nombre de centrifugeuses, indispensables à la production de ce minerai, de 19 000 à 6104. De quoi s’assurer que le fameux « breakout time » – c’est-à-dire le temps qui serait nécessaire aux Iraniens pour accéder à l’arme nucléaire – ne soit pas inférieur à une année. En échange, il est prévu de lever graduellement les sanctions (des Etats-Unis, de l’Union européenne, de l’ONU) qui étouffent l’économie iranienne, lesquelles seront rétablies en cas de manquement aux engagements pris.

Cependant, les Américains et les Iraniens n’ont pas interprété de la même façon les paramètres de cet accord-cadre. Aussitôt annoncé, il a été présenté comme une victoire à Washington et a soulevé la liesse à Téhéran. La feuille de route du gouvernement français, qui n’a pas été rendue publique par Paris mais qui a été obtenue par Times of Israel, affirme que l’Iran pourra introduire progressivement l’utilisation de centrifugeuses avancées pour enrichir de l’uranium après 12 ans, à la différence des paramètres officiels américains, qui ne font pas état d’une telle disposition. L’administration Obama s’est principalement concentrée sur les limites strictes qu’elle cherche à imposer à la capacité de l‘Iran d’enrichir de l’uranium. Pour les Etats-Unis, la levée des sanctions est conditionnée au respect par l’Iran de ses engagements. La structure des sanctions restera en place afin de pouvoir rapidement les remettre en place si l’Iran ne respecte pas l’accord. Mais contrairement à la levée progressive des

sanctions mise en avant dans le document américain, la feuille de route publiée par le ministère iranien des Affaires étrangères évoque une levée immédiate des sanctions dès la conclusion de l’accord.

Le jeu dangereux d’Obama : le deal de la compromission

L’erreur de Barak Obama est double : d’un côté il a cherché à arracher un accord « historique » au risque de menacer la stabilité régionale, d’autre part, il mise sur la rationalité de l’Iran. La quête obstinée d’Obama d’un accord sur le nucléaire avec l’Iran fait partie intégrante de sa stratégie moyen-orientale. Dès le jour de son investiture en janvier 2009, il s’était donné pour objectif de reprendre le dialogue avec l’Iran en l’appelant « à desserrer le poing ». En choisissant de négocier avec l’un des plus farouches ennemis de l’Amérique, Obama a fait un pari compromettant, dont les risques semblent plus évidents que les bénéfices. Les républicains du Congrès ont immédiatement manifesté leur hostilité en qualifiant le président de naïf et de faible, ouvrant la route d’une nucléarisation de l’Iran par ses renoncements. Le sénateur Mark Kirk a ainsi déclaré « Neville Chamberlain a signé un meilleur accord avec Adolf Hitler ».

L’hostilité envers Téhéran est vive au Congrès, particulièrement chez les républicains qui ont dénoncé les concessions accordées par Barack Obama aux Iraniens. Beaucoup sont partisans d’une ligne dure: rejet de tout accord qui ne démantèlerait pas la totalité des capacités d’enrichissement nucléaire iraniennes, une barre jugée irréaliste par l’administration. Mais les démocrates sont aussi désireux d’affirmer le rôle de tutelle du Congrès dans un domaine où les prérogatives parlementaires ne sont pas nulles. Ils réclament, sinon une ratification comme pour un traité, au moins un droit de regard.

La commission des Affaires étrangères du Sénat a ainsi approuvé à l’unanimité une proposition de loi qui donnerait un droit de regard au Congrès en cas d’accord final sur le nucléaire iranien, confortant le rôle du Congrès dans les négociations internationales. Cette loi, dite Corker-Menendez, ne se prononce pas sur le fond de l’accord-cadre du 2 avril mais elle met en place un mécanisme pour que le Congrès, en cas d’accord final fin juin, ait le temps d’en bloquer l’application. Pendant 30 jours, aucune sanction adoptée ces dernières années par le Congrès ne pourrait être levée par Barack Obama. Le Congrès aurait trois options: voter une résolution approuvant la levée de sanctions, voter une résolution bloquant la levée des sanctions, ou ne rien faire.

Une double victoire pour l’Iran

Les réactions iraniennes ne laissent guère de doutes quant aux ambitions régionales du régime des mollahs. Dans un discours diffusé en direct sur la télévision iranienne, Khamenei a déclaré qu’il n’y aurait aucun intérêt aux négociations si elles n’entrainaient pas immédiatement une levée des sanctions. Ainsi, on a pu lire sur son compte Twitter : « Toutes les sanctions devraient être levées lorsqu’un accord sera signé. Si la levée des sanctions dépend d’autres processus, alors pourquoi avons-nous commencé les négociations. », ajoutant plus tard dans un autre tweet : « Des heures après les négociations, les Américains, ont présenté une feuille de route qui, pour la plus grande partie, était contraire à ce sur quoi nous étions tombés d’accord. Ils trompent toujours et ne respectent pas leurs promesses. »

L’accord de Lausanne constitue une double victoire pour l’Iran. D’une part, le pays s’est affiché aux yeux du monde – et surtout aux yeux des pays du Golfe – comme une grande puissance qui négocie avec les autres grandes puissances, et d’autre part, la République islamique bénéficie déjà, via la Russie des premiers avantages de cet accord-cadre. Le 13 avril dernier, Vladimir Poutine a signé un décret levant l’interdiction de livrer à l’Iran des missiles S300, un système sophistiqué de batteries antiaériennes. Le président russe n’a donc pas attendu la levée des sanctions ni même la signature d’un accord définitif, le 30 juin, sur le programme nucléaire iranien entre les 5+1 et la République islamique. Moscou a estimé que le préaccord de Lausanne suffisait à changer la donne. Cette initiative a été durement critiquée par les Occidentaux, en premier lieu Washington, et le secrétaire d’Etat John Kerry a fait part de ses préoccupations à son homologue russe Sergueï Lavrov.

Ce message politique de la Russie, qui tente aussi d’affirmer sa suprématie au Moyen- Orient, ne laisse rien augurer de bon. On est encore loin d’imaginer l’Iran comme un partenaire, même hostile, et il apparaît illusoire de compter sur son assagissement. A titre d’exemple, lors du sermon de la prière du vendredi, qui a suivi l’annonce de l’accord-cadre, le chef du comité religieux du Hezbollah Cheikh Mohammad Yazbek a affirmé : « La République islamique a remporté la victoire, lors des négociations nucléaires. Grâce aux directives du Guide suprême de la Révolution islamique et à la résistance, face aux menaces des ennemis. Cette victoire appartient à l’Islam et à tous les déshérités du monde ».

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Le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius a affirmé qu’il n’excluait pas un éventuel rebondissement qui viendrait compromettre la signature définitive d’un accord sur le nucléaire iranien fin juin. Le 21 avril prochain, l’Iran et les grandes puissances vont reprendre les discussions mais les embûches qui se dressent ne seront pas seulement dues à la capacité potentielle de l’Iran à se jouer de ses interlocuteurs. Se profile aussi le risque d’une course au nucléaire, si les pays du Golfe perçoivent l’accord du 30 juin, s’il est conclu, comme une victoire iranienne.