Dr. Arié Bensemhoun[1]
Tribune publiée dans L’EXPRESS, le 22 octobre 2025 :
« Gaza : vouloir désarmer le Hamas, c’est se bercer d’illusions, par Arié Bensemhoun »
Alors que la première phase du « Plan Trump » a permis un cessez-le-feu dans la bande de Gaza ainsi que la libération des derniers otages israéliens vivants contre celle de milliers de prisonniers palestiniens, un point demeure néanmoins inextricable pour la suite du processus : l’avenir du Hamas, son désarmement et son exclusion de toute future gouvernance palestinienne – ce que l’organisation terroriste refuse catégoriquement.
La question du démantèlement du Hamas, plus qu’un impératif sécuritaire pour Israël ou un préalable technique indispensable à la reconstruction de Gaza, est d’abord un enjeu ontologique, qui touche à la nature même du mouvement islamiste. Lui demander de déposer les armes revient à lui demander de cesser d’être ce qu’il est.
Fondé en 1987, au cœur de la première Intifada, le Hamas n’a jamais été un mouvement politique au sens classique du terme. Il ne résulte pas d’un projet de gestion ou d’émancipation nationale, mais d’un acte de guerre sainte — une extension armée des Frères musulmans, portée par la conviction que la violence est la seule voie légitime vers la « libération de la Palestine » et, plus encore, vers la restauration d’un califat islamique mondial.
Dans cet imaginaire, les armes ne sont pas un outil, elles sont un credo. Elles incarnent la foi, la résistance et l’identité collective. Elles structurent la société gazaouie, façonnent son économie et imprègnent sa culture politique. Chaque roquette, chaque tunnel, chaque uniforme participent d’un récit quasi mystique d’un peuple élu pour combattre les Juifs jusqu’à la fin des temps, tel que le proclame la Charte de 1988 – jamais abrogée.
Renoncer à cet arsenal reviendrait donc pour le Hamas à se renier lui-même, à briser le lien entre sa légitimité religieuse et sa survie politique. Cette connexion est d’autant plus vitale que son pouvoir repose non sur la représentativité démocratique, mais sur la coercition et la peur.
Au fil des années, le Hamas s’est mué en véritable État-mafia, contrôlant les flux d’aide humanitaire, les importations de carburant et les matériaux de construction, tout en prélevant des taxes sur chaque transaction à Gaza pour financer ses ambitions génocidaires contre Israël. Les tunnels, présentés comme des instruments de résistance, sont aussi des circuits de contrebande hautement lucratifs qui enrichissent sa nomenklatura. Et chaque cessez-le-feu, chaque trêve, chaque phase de « reconstruction » n’est pour le Hamas qu’une pause stratégique — une opportunité de reconstituer son arsenal et de reconsolider son emprise sur la population qui l’a élu.
Le fusil est le ciment du pouvoir – et le Hamas le sait. Sans armes, il cesse d’être craint ; et sans crainte, il cesse d’être obéi. Les armes ne servent donc pas seulement à combattre Israël : elles protègent un système d’exploitation totalitaire, garantissent l’impunité de ses dirigeants et maintiennent la population sous un régime de terreur et de dépendance, en contrôlant les rues, les mosquées, les écoles et les médias, tout en réduisant au silence toute opposition. Et cette dynamique est particulièrement flagrante depuis le cessez-le-feu, alors que les exécutions publiques et les affrontements avec des clans rivaux cherchant à renverser son autorité se multiplient.
Le « prestige » du Hamas s’est construit sur la confrontation permanente, sur sa prétention à incarner la seule « résistance authentique » face à un Fatah jugé corrompu et domestiqué par les Accords d’Oslo. Dans cette logique, le désarmement n’est pas une concession, mais une capitulation idéologique. Il signifierait reconnaître la légitimité d’Israël, renoncer à la lutte armée, admettre la faillite de quarante ans de jihad ; et donc se dissoudre dans un processus politique contraire à son ADN.
Or, les terroristes palestiniens ne raisonnent pas en victoire ou défaite militaire, mais en termes de martyre et de continuité eschatologique. Ils s’inscrivent dans une temporalité religieuse où la destruction terrestre n’est qu’une étape vers la victoire spirituelle finale — d’où leur capacité à absorber des pertes colossales sans jamais infléchir leur stratégie.
C’est pourquoi le désarmement serait pour le Hamas une honte éternelle, un renoncement à la mission sacrée confiée par Dieu. Mieux vaut mourir debout que vivre sans jihad. Et c’est cette mentalité sacrificielle qui rend tout compromis sincère impossible. Le Hamas n’est pas un acteur rationnel au sens diplomatique occidental du terme, mais un mouvement millénariste pour qui la paix avec les « mécréants » n’est pas un objectif, mais une hérésie.
Exiger du Hamas qu’il se désarme, c’est donc espérer la conversion d’un fanatisme en pragmatisme. C’est ignorer que son existence repose sur la perpétuation du conflit, sur l’entretien d’une guerre infinie qui seule justifie sa domination. Tant qu’il conservera ses armes, il restera maître de Gaza et du récit de la « résistance ». Mais s’il les perd, il s’effondrera — non seulement militairement, mais spirituellement.
C’est cette impasse existentielle qui rend tout processus de paix illusoire tant que le Hamas subsiste : il ne peut ni gagner, ni disparaître. Il ne peut qu’entretenir la guerre comme condition de sa survie. Et tant que cette logique perdurera, aucune solution durable à Gaza ne pourra émerger, quelle que soit la pression des acteurs extérieurs. Le retour de la guerre n’est donc qu’une question de temps.
[1] Arié Bensemhoun est le directeur général d’ELNET France (European Leadership Network) depuis 2011. Docteur en chirurgie dentaire, il a mené sa carrière dans le secteur privé en tant que conseil en communication stratégique, en affaires publiques et en relations internationales.