Montauban, Toulouse, Paris, Montrouge, Saint-Denis, Magnanville, Nice: Pourquoi les gouvernements successifs ont-ils failli à anticiper la menace terroriste et que nous enseigne l’attentat du 14 juillet ?

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Après l’attentat de Nice qui a endeuillé la nation, la question des failles dans notre arsenal de lutte contre le terrorisme a une fois encore largement été évoquée dans les médias par les personnalités politiques et les experts. Cette tuerie de masse a produit le double effet recherché par Daech: l’efficacité d’une grande réussite opérationnelle et un effet de sidération dans la population. Alors que seuls 33 % des Français font confiance au Président François Hollande et au gouvernement pour faire face et lutter contre le terrorisme, selon un sondage Ifop pour Le Figaro publié lundi 18 juillet, deux conclusions s’imposent : d’une part l’union nationale a volé en éclats et « l’esprit du 11 janvier » n’est plus qu’un souvenir érodé, et d’autre part le gouvernement a perdu la confiance des citoyens, qui ont le sentiment qu’ils n’ont plus de chef à même de mener cette guerre. Nice est l’attentat de trop qui a changé la donne et nous invite à tirer plusieurs enseignements.


Prendre la mesure du tournant historique que nous vivons

Pour Gilles Kepel, politologue spécialiste de l’Islam et du monde arabe, « la classe politique ne comprend pas le bouleversement historique auquel nous sommes confrontés »[1], ni la façon dont fonctionne notre ennemi et le « logiciel » avec lequel il faut l’appréhender. Cette torpeur dans laquelle se trouvent figés un certain nombre de décideurs politiques leur fait oublier qu’ils ont le devoir d’éduquer les citoyens au fait même qu’ils ne peuvent compter uniquement sur le gouvernement dont l’action « traite les symptômes mais pas les causes. Cela rassure les gens mais cela ne suffit pas. »

La société doit aussi prendre part à la mobilisation, être plus alerte, faire preuve de plus de solidarité, lutter contre l’embrigadement. Les nouvelles générations n’ont jamais connu la guerre et rejettent toute forme de violence sur leur sol si bien que le terrorisme fait naître en eux « une peur viscérale de l’anarchie, comme si l’ordre social était sur le point de s’effondrer » affirme Gilles Kepel. A Nice, des victimes de toutes les confessions, toutes les origines, toutes les nationalités ont été touchées, témoignant de l’universalité du crime. Nous sommes face à une menace globale qui exige une réponse globale. D’où la nécessité d’agir collectivement pour mettre tout citoyen menaçant hors d’état de nuire. Il s’agit du combat de la vie contre la mort, de la civilisation contre la barbarie.

A cet égard les médias ont une part de responsabilité dans la « starification » des terroristes. A titre d’exemple, lorsqu’en mars 2012, trois militaires dont un de confession musulmane et quatre civils, dont trois enfants d’une école juive, ont été lâchement assassinés par Mohamed Merah à Montauban et Toulouse, les médias ont réduit ce tragique épisode en « Affaire Merah », mettant ainsi en lumière le nom du bourreau pour éteindre celui des victimes. Qui  est aujourd’hui capable de nommer les victimes de Montrouge, de l’Hypercacher, de la terrasse du Petit Cambodge ou de Magnanville ? Les journalistes participent à la radicalisation des faibles en inscrivant les terroristes dans la « légende ».

De la même façon, montrer les images de nos morts en continu contribue à faire triompher notre ennemi. Comme le dit Laurent Bigot, chroniqueur au Monde, « Pour les terroristes, la publicité est gratuite, elle est offerte par les médias et la classe politique (…) Les témoignages diffusés à l’antenne ainsi que les images confinent bien plus au voyeurisme qu’au devoir d’informer. Ce n’est plus de l’information, c’est de la mise en scène[1] ».

L’Histoire s’est accélérée en France et cette mutation a donné le sentiment que personne n’a eu le temps d’évaluer des réponses politiques pertinentes. Or, la France le pourra si elle est unie. Après le meurtre des deux policiers à Magnanville, plus de 5 000 personnes se sont rassemblées pour former la plus grande manifestation de soutien à cette occasion. Pour le Député socialiste Malek Boutih, « les esprits sont en train de basculer »[2]. Si la population attend des réponses sécuritaires musclées, celles-ci n’auront de sens que si les mentalités changent. « Face à la difficulté de détecter des gens qui basculent dans le terrorisme en quelques semaines, il faut surtout détecter ceux qui portent les idées qui y mènent ».

Nos ennemis rejettent notre société consumériste et hédoniste. En France, l’enseignement a été vidé de toute morale religieuse pour être investi par une morale laïque, sans dieu tandis que toute expression religieuse est mal vue ou réprimée, au nom de la laïcité souvent confondue avec l’athéisme. Notre propre culture s’est oubliée depuis 50 ans à force de déconstruction, de culpabilité, de haine de soi, dénigrant ce qu’étaient une nation, un peuple, des racines. Maintenant plus que jamais, il faut restaurer l’Etat et les valeurs républicaines.


Défaire l’Islam de sa radicalité et rendre le salafisme illégal

Au fil du temps, le discours intégriste s’est affiné, les techniques d’embrigadement se sont transformées en proposant une offre sur mesure aux différents profils intéressés. Après les attentats de janvier, Manuel Valls avait fait de la lutte contre l’islam radical une priorité : « L’islam de France doit prendre ses responsabilités », avait affirmé le Premier ministre, or quelles mesures ont été prises depuis la tuerie du Bataclan ?

Nous sommes confrontés à une guerre extérieure et intérieure qui nécessite une riposte forte et la communauté musulmane a un rôle important à jouer pour mettre au ban ce totalitarisme islamique. Le salafisme n’a pas de place sur le territoire de la République et pour cela, les organisations religieuses doivent mettre de l’ordre dans leur rang, expurger les textes de tout ce qui est contraire aux Droits de l’Homme.

La détection de la radicalité est devenue un enjeu primordial contre le terrorisme. Nos forces de sécurité intérieure ne peuvent intercepter tous les individus. La détection doit passer, en amont, par un dispositif adapté et qui implique la société. Les corps d’Etat et les acteurs publics doivent y figurer au premier plan.

L’islamisme, qui n’est pas une religion mais une idéologie politique, réduit le culturel au cultuel et politise le religieux. En créant une opposition entre le « monde musulman » et l’Occident, l’islamisme alimente une lecture déformée des conflits géopolitiques. Comme le dit Bernard-Henri Lévy, « ce n’est, plus exactement, une version de l’islam que pour autant que c’est, d’abord, une variante de cette forme générique de politique qui s’appelle, depuis un siècle, le fascisme ».

Les médias ont là aussi une part de responsabilité. En parlant de « psychopathes » ou « déséquilibrés », ils dédouanent en quelque sorte les terroristes. L’écrivain philosophe déclare ainsi : « Comme si les terroristes n’étaient pas tous, toujours, des psychopathes. Comme si les nervis nazis des années 20 et 30, les piquets des Sections d’assaut hitlériennes donnant la chasse à leurs ennemis, comme si les brutes SS préposées à l’éducation idéologique des masses allemandes avaient jamais été autre chose que des brutes psychopathes plus ou moins galonnées ». Assimiler le terrorisme à une pathologie est une faute morale car rien ne peut justifier la barbarie.


Développer un renseignement de proximité

 Les attentats qui frappent notre territoire depuis plusieurs années nous montrent la nécessité d’unifier notre renseignement, de lui donner plus de contenu technologique et de l’adapter en lui redonnant une dimension de proximité. L’absence de doctrine sécuritaire a contribué à creuser les failles de notre dispositif. Tout est à écrire et à inventer en l’absence de commandement unifié.

François Heisbourg, conseiller spécial de la Fondation pour la Recherche Stratégique, milite pour « la création d’une agence de l’antiterrorisme adossée à la Présidence de la République (…) en lieu et place du seul ministère de l’Intérieur ». Il appelle à la mise en place d’une vraie commission d’enquête sur l’état et l’organisation de nos services, notamment, et la nécessité de revenir à une police de proximité.

L’idée d’une NSA à la française avait été suggérée par la commission d’enquête parlementaire sur les attentats, présidée par le Député LR Georges Fenech, mais retoquée par le ministre de l’Intérieur, qui estimait que cela ajouterait un nouvel état au « millefeuille ». Pour conduire cette agence nationale, la commission proposait de créer une direction générale chargée de coordonner l’action de tous les services de renseignement et s’assurer qu’il n’y a pas de déperdition d’information entre services.

Le rapport de la commission remettait également en cause le renseignement pénitentiaire. Le cas d’Amédy Coulibaly, tueur de l’Hypercacher en janvier 2015, en est emblématique. Il s’agit d’un domaine dans lequel « tout est à faire », a reconnu le ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas lors de son audition. Condamné plusieurs fois, Amédy Coulibaly est sorti de prison sans que l’information ne soit transmise, ni qu’aucune surveillance ne soit prévue alors même que sa radicalisation ne faisait plus de doute.

Quant au cas de Samy Amimour, terroriste du Bataclan qui a pu aller en Syrie en 2013 malgré une interdiction de sortie du territoire, « il est emblématique des défaillances du contrôle judiciaire », estime le Député socialiste Sébastien Pietrasanta. « L’ancien juge d’instruction antiterroriste Marc Trévidic, pendant son audition, nous a expliqué que trafiquants de shit et terroristes font l’objet du même traitement, les seconds n’étant pas plus surveillés que les autres », explique le rapporteur de la commission.


 

S’inspirer du modèle israélien

Suite à l’attentat de Nice, une dizaine de quotidiens – La Croix, le Monde, Libération, La Dépêche etc.- ont analysé la pertinence du modèle israélien en matière de lutte contre le terrorisme et tenté de voir dans quelle mesure la France pouvait s’en inspirer.

L’Etat hébreu a connu sept guerres et deux intifadas depuis sa création en 1948. Il est mondialement reconnu comme un excellent exemple de la façon dont un pays peut anticiper les risques sécuritaires. La politique israélienne de lutte contre le terrorisme repose à la fois sur une stratégie défensive (zones de sécurité, barrières, points de contrôle militaires etc.) et offensive (infiltration, arrestations préventives, assassinats ciblés etc.).

En Israël, les autorités sont confrontées depuis plusieurs décennies à une réinvention permanente des modes opératoires terroristes. Depuis longtemps, les responsables de la sécurité israéliens savent que les transports publics sont des lieux sensibles car au plus fort de la deuxième intifada, pendant les années 2000, les bus et leurs stations étaient régulièrement visés par des attentats-suicides menés par des Palestiniens.

L’aéroport Ben Gourion est considéré comme l’un des plus sûrs au monde. En plus de leurs services de renseignement, les Israéliens ont développé à leur maximum les techniques de profilage. La dernière tentative d’intrusion dans un aéroport israélien remonte à plus de cinq ans, alors que les attaques au couteau menées par des Palestiniens sont quasi quotidiennes depuis le mois d’octobre 2015.

Face à la menace, la société civile a développé une étonnante faculté de résilience et un esprit défensif collectif. La police est alertée au moindre objet ou comportement suspect. Mais la protection individuelle n’est pas pour autant déléguée aux professionnels. Astreints au service militaire, les jeunes Israéliens sont formés au maniement des armes et au krav maga (technique de combat pour l’autodéfense) et plus de 200 000 ports d’armes sont détenus par des civils.


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L’amplitude des attentats que nous connaissons depuis 2012 nous invite à repenser notre rapport au monde, à l’Etat, à la nation, à l’autre et à nous-même. Nous avons changé de paradigme, notre Histoire a muté en un temps très court et si la riposte sécuritaire est incontestablement une partie de la réponse, les citoyens doivent apprendre à vivre avec cette menace latente du « prochain coup ». Plus que jamais, la politique de défense que nous devons changer doit davantage impliquer la société française, pour que celle-ci reste unie contre la barbarie.

[1] « Attentats : repenser notre rapport au monde », par Laurent Bigot, Le Monde, 16 juillet 2016

[2] Interview de Malek Boutih par Atlantico, 17 juillet 2016

[1] Interview sur France Inter, 15 juillet 2016