La jeunesse de Bethléem ne croit pas à une fin du conflit israélo-palestinien

Share on facebook
Share on twitter
Share on linkedin
Share on print
Share on email

Le Figaro – Par Cyrille Louis


REPORTAGE – La visite du président américain Donald Trump ce mardi, suscite peu d’espoir parmi cette génération de Palestiniens avide de normalité et qui tente de s’inventer un avenir meilleur.

Un éclairage tamisé, des étagères recouvertes de bouteilles et une terrasse où flotte un parfum d’insouciance: comme chaque jeudi soir depuis près d’un an, le Rewined ouvre ses portes à l’heure où les boutiques pour touristes qui entourent la basilique de la Nativité baissent le rideau. Niché entre le mur de séparation et le petit camp de réfugiés d’al-Azza, à l’entrée de Bethléem, ce bar n’a pas tardé à devenir le point de ralliement d’une jeunesse palestinienne avide de normalité.

«Le poids de l’occupation se rappelle à nous tous les jours mais cela ne doit pas nous empêcher de vivre», plaide Dalia Dabdouq, une chrétienne de 27 ans qui a ouvert ce lieu avec l’aide de ses parents et l’anime quatre soirs par semaine en compagnie de son mari. «Notre génération en a marre de se lamenter, dit-elle, et de rester les bras croisés en attendant un hypothétique règlement du conflit.»

La visite de Donald Trump, dont le convoi doit en principe passer mardi matin devant la terrasse du Rewined, ne soulève ici que peu d’attentes. Il prévoit de se rendre directement au palais présidentiel pour y rencontrer Mahmoud Abbas, tandis que son épouse, Melania, doit visiter la basilique de la Nativité. Cette partie du programme pourrait cependant être annulée de crainte que la première dame ne croise à cette occasion des Palestiniens manifestant leur soutien aux prisonniers en grève de la faim.

Prendre conscience de l’injustice

«Peut-être ce déplacement nous permettra-t-il au moins d’avoir une nouvelle route, sourit Yousef Anastas, jeune architecte dont les bureaux sont situés à deux pas du checkpoint vers Jérusalem. La rue qui longe le mur, précise-t-il, est en travaux depuis près d’un an.» «L’Autorité palestinienne travaille jour et nuit pour tenter de boucler le chantier avant mardi», indique Dalia Dabdouq. «Nous espérons que le fait de rentrer à Bethléem par cet horrible checkpoint aidera le président à prendre conscience de l’injustice faite au peuple palestinien – et renforcera sa détermination à trouver une solution», ajoute Vera Baboun, la maire de la ville.

Meurtrie par la seconde intifada et coupée de Jérusalem par l’édification du mur au milieu des années 2000, Bethléem a longtemps peiné à se relever de ces épreuves. Malgré le retour progressif des touristes ces dernières années, les échoppes fermées se succèdent encore le long de l’emblématique rue de l’Étoile. «Nous avons reçu en 2016 près de deux millions de visiteurs, mais le taux de chômage sur l’ensemble du district culmine encore à 29%», relève Samir Hazboun, président de la Chambre de commerce. Vera Baboun soutient pour sa part que Bethléem renaît peu à peu malgré les obstacles. «L’étouffement que nous impose le mur et les dix-sept colonies israéliennes édifiées tout autour de la ville ne briseront pas notre volonté», promet-elle.

Yousef Anastas assure, lui aussi, déceler un frémissement. «Les gens se remettent à bâtir des projets à taille humaine sans se laisser décourager par les risques», observe le jeune homme. Une zone industrielle se développe, non sans difficulté, avec le soutien de la France. Plusieurs galeries d’art ont ouvert aux abords de la Nativité, une «bibliothèque végétale» recensant les espèces utilisées par les agriculteurs palestiniens a été créée en lisière du bourg, et les cafés branchés essaiment dans différents quartiers. «Nous sommes en train de réaliser qu’on ne peut pas faire vivre toute une ville de 40.000 habitants uniquement sur l’accueil des touristes et des pèlerins», poursuit-il.

Le succès du Rewined est volontiers montré en exemple de cette vitalité retrouvée. Contrairement à Ramallah, la «capitale» de l’Autorité palestinienne, Bethléem n’a jamais été très réputée pour sa vie nocturne. «C’est une ville assez conservatrice et les gens n’ont pas d’emblée compris qu’une jeune femme dirige un établissement où on sert de l’alcool, concède Dalia Dabdouq, mais nous avons surmonté ces réticences en recrutant notre personnel parmi les jeunes du camp de réfugiés voisin.»

L’établissement accueille une clientèle indifféremment composée de musulmans et de chrétiens originaires de Bethléem, ainsi que de Palestiniens venus de Jérusalem-Est ou de Ramallah et de touristes étrangers. «Il y a trop longtemps que le monde entier n’envisage cette ville que comme un lieu biblique ou un théâtre de guerre. Or nous sommes beaucoup plus que cela», plaide Fadi Kattan, 39 ans, qui a ouvert il y a deux ans un hôtel haut de gamme dans une vieille maison de pierres en bordure du souk.

Tout le monde, naturellement, ne partage pas cet entrain. Selon Mike Chaheen, un vendeur de souvenirs établi place de la Mangeoire, l’occupation israélienne qui perdure et le rôle «néfaste» joué par les États-Unis au Proche-Orient entrave toute perspective de développement. «Chaque fois qu’un président américain vient ici, c’est pour préparer la guerre d’après», grimace ce chrétien qui accuse les puissances occidentales d’encourager «la déstabilisation de la région par les djihadistes». «Quand Trump commence un voyage en Arabie saoudite et le poursuit en Israël pour ne s’arrêter qu’une petite heure auprès des Palestiniens, il est bien évident que nous n’avons rien à y gagner», prévient-il.

Vingt-quatre ans après la signature des accords d’Oslo, de très nombreux Palestiniens de Cisjordanie se disent pessimistes sur les chances d’aboutir à un accord de paix avec Israël. Selon un sondage publié en mars dernier par le Centre palestinien de recherches et d’études politiques, 60 % d’entre eux ne croient plus en la solution dite des deux États, et un tiers se disent convaincus que l’occupation militaire s’exercera encore d’ici un demi-siècle. «La possibilité de créer un État palestinien a été tuée par la colonisation, glisse Miran, le mari de Dalia Dabdouq, en préparant un cocktail. Il faut bien sûr continuer à résister à l’occupation car c’est ainsi que nous obtiendrons le respect de nos droits. Mais nous devons aussi prendre les choses en main pour améliorer notre quotidien.»