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Depuis le déclenchement de la riposte israélienne au pogrom du 7 octobre 2023, orchestré par le Hamas, des questionnements émergent quant à la cohérence et aux ambiguïtés dans le discours de la France en matière de politique étrangère, notamment dans sa relation avec Israël.

Bien que la France ait initialement exprimé un soutien inéquivoque envers l’Etat hébreu, la diplomatie française semble, comme à son habitude, se replier sur ses vieilles positions « d’équilibres », entravant ainsi les efforts d’Israël pour garantir la sécurité de son peuple et aliéner son droit légitime de se défendre.

 

Le soutien ambigu du Président de la République

Le Président de la République, Emmanuel Macron, a affiché son soutien dès le 7 octobre en condamnant fermement les attaques du Hamas, en exprimant sa solidarité envers Israël et son peuple[1]. Le Ministère français des Affaires Étrangères a également affirmé son rejet absolu du terrorisme et son engagement envers la sécurité d’Israël[2]. Emmanuel Macron s’est entretenu ce même jour avec le Président israélien, Isaac Herzog, ainsi que le chef du gouvernement, Benjamin Netanyahu, soulignant que « la France est solidaire d’Israël et des Israéliens, attachée à leur sécurité et à leur droit de se défendre »[3].

Le 9 octobre, le Président français, en coordination avec ses homologues allemand, italien, britannique, et américain, a réaffirmé son soutien aux efforts d’Israël pour sa défense contre ces atrocités, tout en soulignant que ces attaques ne devraient pas être exploitées par des acteurs hostiles à Israël. Le communiqué conjoint a conclu en déclarant : « nous resterons unis et coordonnés, en tant qu’alliés et amis de l’État d’Israël, afin de garantir qu’Israël puisse se défendre et pour instaurer les conditions d’un Moyen-Orient pacifique et intégré »[4].

Le 12 octobre, lors d’une intervention télévisée spécialement consacrée à la situation au Proche-Orient, le Président a une fois de plus réitéré son soutien à Israël et appelé à une réponse israélienne « forte et juste, forte parce que juste »[5].

Cependant, malgré ses multiples déclarations de soutien, il a fallu attendre le 24 octobre, plus de deux semaines après les attaques du Hamas, pour que le Président se rende en Israël, devenant ainsi le dernier dirigeant européen de premier plan à le faire. Cette visite a été jugée tardive, étant donné que Joe Biden, Olaf Scholz, Giorgia Meloni et Ursula von der Leyen s’y étaient rendus bien avant lui pour exprimer leur solidarité avec Israël. Le président de la République a expliqué son retard en mettant en avant les différentes sensibilités en France[6]. Le pays abrite la plus grande communauté juive d’Europe, qui a été affectée par les attaques du Hamas. Cependant, il abrite également une communauté musulmane de plusieurs millions de personnes, prompte à se solidariser avec les Palestiniens et mobilisée ces dernières semaines en raison de la situation à Gaza. De plus, Emmanuel Macron a souhaité assister aux funérailles du professeur Dominique Bernard, assassiné par un islamiste à Arras le 13 octobre.

Arrivé après tous les autres dirigeants occidentaux, les attentes étaient élevées à l’égard d’Emmanuel Macron, afin qu’il apporte un message nouveau pour marquer cette visite historique. Alors le Président a surpris. En souhaitant affirmer une solidarité profonde avec Israël, il a très certainement devancé les attentes de ses interlocuteurs israéliens, mais surtout suscité l’incompréhension en proposant d’étendre la coalition internationale contre l’État Islamique au Hamas[7].

Il a également suscité des interrogations lorsqu’après s’être rendu en Israël pour exprimer son soutien et sa solidarité, il s’est dirigé vers Ramallah pour rencontrer Mahmoud Abbas, Président de l’Autorité Palestinienne. Non seulement Mahmoud Abbas n’a pas condamné les attaques du 7 octobre, mais il a également accusé Israël de préparer un génocide[8]. Au cours de cette rencontre, Emmanuel Macron a exprimé son attachement à une « solution à deux Etats » et à la « reprise du processus de paix »[9], démontrant ainsi sa perception du conflit en cours comme un énième épisode du « conflit israélo-palestinien ».

Cette perception simpliste du conflit semble étrange, car le conflit ne se limite pas à Israël et aux Palestiniens. Sans la présence américaine en Méditerranée orientale, le risque d’embrasement régional avec l’Iran et ses milices serait plus qu’à craindre. De plus, imaginer le conflit en cours comme un simple épisode du « conflit israélo-palestinien » est directement contradictoire avec l’idée même de créer une « coalition internationale » pour lutter contre le Hamas, entraînant, de fait, le conflit dans une autre dimension.

Le Président de la République a réagi de manière catégorique aux attaques du Hamas, exprimant une solidarité incontestable envers Israël. Sa déclaration sans ambiguïté face à ces attaques, « il ne peut jamais y avoir de oui mais »[10], réaffirme clairement son engagement envers la sécurité d’Israël, excluant toute interprétation nuancée. Cependant, ce soutien et cet engagement envers la sécurité d’Israël ne font pas l’unanimité, notamment au sein du ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères, qui se montre plus soucieux de préserver ses relations avec le monde arabe.

 

Les réticences du Quai d’Orsay

Bien que le Quai d’Orsay ait exprimé dès le 7 octobre sa solidarité envers Israël et son engagement envers la sécurité de l’État hébreu, en suivant clairement les discours du Président de la République, sa position a évolué de manière significative.

La Ministre de l’Europe et des Affaires Étrangères, Catherine Colonna, s’est rendue en Israël dès le 15 octobre, où elle a déclaré : « Israël a le droit de se défendre face à la monstruosité du Hamas et au danger qu’il représente, sa réponse doit être ferme et juste »[11]. Cette déclaration était en accord avec la position du Président de la République, qui a également défendu la légitimité d’Israël à se défendre et à rechercher justice après les attaques du Hamas.

Cependant, quelques jours plus tard, lors du Sommet du Caire pour la Paix du 21 octobre, la Ministre a opéré un revirement dans la diplomatie française en évoquant la possibilité d’une « trêve humanitaire, pouvant mener à un cessez-le-feu »[12].

Cette évolution s’est également reflétée dans le vote de la France à l’ONU sur la résolution du 27 octobre concernant la « protection des civils et le respect des obligations juridiques et humanitaires »[13]. La résolution, portée par la Jordanie et soutenue par les pays arabes, appelait à une « trêve humanitaire immédiate » au moment où Israël entamait son intervention militaire dans la bande de Gaza. Bien que tous les amendements condamnant ces attaques comme du terrorisme et demandant la libération immédiate et inconditionnelle par le Hamas aient été rejetés, la France a tout de même voté en faveur de la résolution, étant le seul pays du G7 à le faire.

Il est incontestable que le Hamas ne peut être neutralisé que par la force, compte tenu de ses objectifs, tels qu’exprimés dans sa charte[14], qui visent l’anéantissement d’Israël. Ses méthodes génocidaires en sont la preuve. Des négociations de paix avec le Hamas sont impossibles et immorales. Conformément au droit humanitaire international, tous les pays ont le droit de se défendre et de protéger leur population, et Israël ne fait pas exception. La proposition d’instaurer une trêve ou un cessez-le-feu ne ferait que renforcer le Hamas en lui accordant un avantage, tout en constituant une prime à la barbarie, ce qui est évidemment inacceptable.

Un cessez-le-feu ne pourrait être envisagé que sous trois conditions claires : l’arrêt des salves de roquettes quotidiennes tirées sur Israël, la libération immédiate et inconditionnelle des otages et le démantèlement du Hamas.

En outre, un cessez-le-feu risquerait de prolonger les souffrances des Palestiniens tout en accentuant la menace pesant sur l’État d’Israël et son peuple. L’expression du souhait d’un cessez-le-feu après une attaque terroriste d’une telle brutalité, coûtant la vie à plus de 1400 personnes, dont au moins 40 Français, va à l’encontre des engagements du Président de la République de garantir la sécurité d’Israël, dans un moment où le Hamas exprime son intention de répéter les attaques du 7 octobre jusqu’à l’anéantissement d’Israël et de son peuple[15].

La question de savoir si l’Ambassadeur de France à l’ONU a respecté les ordres du Président ou non reste une interrogation, mais un tel vote sur un sujet aussi majeur et sensible semble difficilement imaginable sans son aval. Pourtant, les positions divergent.

 

Guerre d’influence entre l’Elysée et le Quai d’Orsay ?

La Constitution de 1958, fondement de la Cinquième République, confère au Président de la République des pouvoirs considérables dans les domaines de la défense et de la politique étrangère. En dehors de ces prérogatives clairement définies, la pratique institutionnelle a établi le chef de l’État comme un acteur majeur de la politique étrangère et de la défense en France. La diplomatie demeure le domaine réservé du Président de la République, qui nomme les ambassadeurs, négocie et ratifie les traités internationaux. Cependant, c’est surtout la dynamique des relations internationales qui le positionne comme l’architecte principal de la politique étrangère française. Dans la Ve République, les Présidents ont souvent considéré la diplomatie comme leur chasse gardée, traduisant ainsi leur influence prédominante sur les orientations et les décisions majeures de la politique étrangère de la France.

Cependant, le ministère des Affaires Étrangères joue un rôle central dans les relations internationales du pays. En tant que responsable des relations avec les États étrangers, il veille aux intérêts français à l’étranger. Le rôle du ministère consiste à informer le Président de la République sur l’évolution de la conjoncture internationale et la situation politique, économique et culturelle des autres pays. Il s’appuie sur les rapports des ambassades et des consulats français dans le monde, qui sont des sources essentielles d’information pour la prise de décisions nationales.

En théorie, le Ministre des Affaires Étrangères est l’initiateur de la politique étrangère de la France et propose les orientations de la politique internationale du pays. Cependant, dans la pratique, c’est le Président de la République qui joue un rôle prépondérant dans ce domaine.

Cette spécificité française peut conduire à des discordances dans la politique étrangère, où l’Élysée et le Quai d’Orsay ne sont pas toujours alignés. Cette situation est exacerbée par une tendance, en croissance depuis des décennies, où la présidence de la République s’approprie de plus en plus le domaine diplomatique.

Cette rivalité devient particulièrement marquée sous la présidence d’Emmanuel Macron, où les conseillers diplomatiques du Président exercent une influence accrue. Une réforme controversée, lancée par Emmanuel Macron, vise à fusionner tous les diplomates au sein d’un nouveau corps de hauts fonctionnaires d’État, ce qui suscite une tension considérable. Cette réforme a provoqué une grève au Quai d’Orsay en juin 2022, une première en 20 ans[16].

Le ministère des Affaires Étrangères, comme d’autres ministères, connaît une réduction de ses ressources. En l’espace de 10 ans, les effectifs du Quai d’Orsay ont diminué de 30 %[17], ce qui contribue à une diminution des moyens de la diplomatie française et crée des tensions au sein du corps diplomatique. De plus, il y a des inquiétudes concernant la possibilité de nominations directes de personnalités issues d’autres corps de l’Etat ou de la société civile. Une lutte interne au sein de l’État est clairement observable, une lutte qui perdure depuis des décennies et qui semble s’intensifier sous la présidence d’Emmanuel Macron.

Le Quai d’Orsay est souvent critiqué pour son fonctionnement en vase clos. En août 2019, lors de la conférence des Ambassadeurs et Ambassadrices, Emmanuel Macron a été le premier chef d’État français à évoquer le concept d’« État profond ». Il a déclaré : « Alors je sais, comme diraient certains théoriciens étrangers, nous avons, nous aussi, un État profond. Et donc, parfois, le président de la République dit des choses, et puis la tendance collective pourrait être de dire : “Il a dit ça, mais enfin nous on connaît la vérité, on va continuer comme on a toujours fait »[18].

Dans le contexte des affaires étrangères, l’« État profond » est souvent décrit comme étant constitué de hauts fonctionnaires, de militaires, de diplomates, d’agents de renseignement et d’autres acteurs agissant en dehors du contrôle direct du gouvernement ou du chef de l’État, mais ayant une influence significative sur la formulation et la mise en œuvre des politiques étrangères. L’« État profond » englobe l’administration, ses pratiques et ses coutumes, qui peuvent parfois entrer en contradiction avec les souhaits des élus[19]. Emmanuel Macron a exprimé son souhait de ne pas être « l’otage de personnes qui négocient en mon nom ». Les objectifs d’un élu et de l’administration ne sont pas nécessairement alignés, tout comme leurs échéances. Le Président de la République n’ayant qu’un mandat de quelques années, les élus peuvent changer, mais l’administration perdure.

Selon un article du Monde daté du 8 novembre[20], la manière dont Emmanuel Macron aborde la situation et gère le conflit entre Israël et le Hamas crée des tensions au sein du Quai d’Orsay. La direction de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient en particulier ressent des clivages internes, notamment avec les pro-atlantistes/pro-israéliens. Certains expriment des inquiétudes quant à un soutien sans nuance à Israël, craignant des conséquences sur l’image et la sécurité futures de la France. Ils poussent pour un cessez-le-feu immédiat.

La proposition d’Emmanuel Macron de créer une « coalition internationale » contre le Hamas lors de sa tournée au Proche-Orient a également suscité des critiques. Le fait que le ministère n’ait pas été consulté à ce sujet a terni la perception de la visite. Les diplomates se sentent marginalisés par l’Elysée.

Dans un acte sans précédent dans l’histoire récente de la diplomatie française, une dizaine d’ambassadeurs de France au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ont conjointement rédigé une note exprimant leurs inquiétudes quant au « virage pro-israélien » adopté par le Président de la République[21]. Cette orientation est perçue comme une divergence par rapport à la « position traditionnellement équilibrée de la France entre Israéliens et Palestiniens ». Ils soulignent que la position actuelle de la France dans le conflit entre Israël et le Hamas est mal interprétée dans les pays arabes, entraînant une diminution de la crédibilité et de l’influence de la France, tout en contribuant à une mauvaise image du pays dans le monde arabe. Les diplomates du Quai d’Orsay craignent que cette évolution négative ne conduise à une diplomatie française enfermée dans un équilibre délicat, risquant ainsi de perdre le soutien des pays arabes et des nations du Sud, où la cause palestinienne est souvent considérée comme un exemple de la duplicité occidentale.

 

Un « rééquilibrage » de la position de la France

À de multiples reprises par le passé, le Président de la République n’a pas hésité à recadrer publiquement les déclarations et les décisions du Quai d’Orsay ou d’un Ambassadeur. Par exemple, en septembre 2023, suite au coup d’État au Niger, le ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères avait émis une directive demandant la suspension de toute collaboration avec des artistes originaires du Niger, du Mali ou du Burkina Faso[22]. Emmanuel Macron est intervenu publiquement pour affirmer que « cela ne passera pas »[23].

Un autre exemple, en 2018, l’Ambassadeur français en Hongrie à l’époque, Eric Fournier, un diplomate aux positions tranchées, avait fait l’éloge de la politique de Viktor Orban dans une note et affirmé que l’antisémitisme était principalement le fait de certains musulmans, suscitant la polémique après que la note ait été révélée par Médiapart[24]. Emmanuel Macron avait publiquement condamné ses propos[25], et l’intéressé a quitté son poste par la suite. Certains médias rapportent qu’Emmanuel Macron l’aurait limogé, malgré les démentis du Quai d’Orsay[26].

Cependant, depuis le 7 octobre, bien que les déclarations et les actions au sommet de l’État puissent sembler contradictoires, Emmanuel Macron n’a jamais pris la parole pour désavouer une déclaration ou une décision de Catherine Colonna, de Nicolas de Rivière ou d’un autre diplomate du Quai d’Orsay.

Pourtant, le Président de la République, qui a rapidement exprimé publiquement son soutien à Israël, semble ne pas souhaiter appuyer autant ce soutien par des actes, bien au contraire. À la suite de sa visite en Israël, le Président de la République a immédiatement souhaité « rééquilibrer » sa position afin d’éviter un risque de « grand écart », malgré avoir appelé à une réponse « forte et juste » de la part des Israéliens.

Ainsi, après avoir rencontré Benjamin Netanyahu, Emmanuel Macron a également rencontré Mahmoud Abbas, Président de l’Autorité Palestinienne, Abdallah II, Roi de Jordanie, et Abdel Fattah al-Sissi, Président de l’Égypte. S’il a rappelé à maintes reprises le « droit d’Israël à se défendre », le 25 octobre, au Caire, le chef de l’État avait mis en garde Tel-Aviv contre une « invasion terrestre massive » et avait commencé à annoncer des gestes humanitaires destinés à la population de la bande de Gaza. Il a également exprimé à Mahmoud Abbas son soutien aux civils palestiniens en affirmant que « rien ne saurait justifier les souffrances » des civils à Gaza, et a réaffirmé son attachement à une solution à « deux États en capacité de cohabiter » et à la « reprise d’un processus de paix ».

Emmanuel Macron s’efforce depuis de maintenir un équilibre, en adoptant une politique du « en même temps », une de ses marques de fabrique et l’un de ses slogans de campagne en 2017, en essayant de trouver des solutions pour contenter toutes les parties, en vain.

Sa proposition d’élargir la coalition internationale anti-Daesh au Hamas est audacieuse, mais pour l’instant, elle n’a qu’une portée symbolique. Cette coalition internationale, créée en 2014 et opérant en Irak et en Syrie, regroupe de nombreux pays, dont plusieurs nations arabes telles que l’Arabie Saoudite, le Qatar, les Émirats Arabes Unis, la Jordanie, etc. L’idée d’associer le Hamas avec le mal absolu qu’a représentée l’État Islamique semble inconcevable au sein du monde arabe, où le Hamas est toujours considéré comme un « mouvement de résistance ». Cela est d’autant plus vrai pour les Palestiniens, pour qui le Hamas fait partie intégrante du tissu social palestinien. De plus, nombreux sont ceux qui minimisent voire ignorent complètement l’horreur de l’attaque perpétrée le 7 octobre. L’Élysée, manifestement pris de court par le Président, a immédiatement tenu à reformuler la proposition en affirmant qu’il s’agirait seulement de « s’inspirer » de cette alliance pour « examiner quelles mesures pourraient être adoptées à l’encontre du Hamas »[27].

De même, de l’autre côté, l’envoi du porte-hélicoptères Tonnerre par la France a vraisemblablement pour objectif de renforcer la présence militaire française dans la zone, tout en envoyant un message politique, notamment à un moment où la France cherche à faire entendre sa voix au Moyen-Orient. Cependant, le Président de la République a annoncé son envoi à des fins humanitaires, dans le but de « soutenir les hôpitaux » de Gaza. Il convient de noter que le Tonnerre ne peut accueillir que « deux blessés très graves et deux blessés graves »[28], ce qui représente une capacité dérisoire compte tenu de l’ampleur du conflit. Une fois de plus, cette promesse, qui semblait solide, s’avère presque insignifiante et ne revêt qu’un caractère symbolique.

Il s’agit d’une délicate équation diplomatique à laquelle la France est confrontée au Moyen-Orient. D’une part, la nécessité de maintenir des relations solides avec Israël, un allié historique et stratégique, et une démocratie endeuillée. D’autre part, un soutien trop prononcé pourrait aliéner les opinions publiques arabes, compromettant ainsi ce qu’il reste du soft power français dans la région. Les récentes visites d’Emmanuel Macron en Égypte et en Jordanie soulignent l’échec de la diplomatie française à obtenir un appui pour son initiative de paix et de sécurité. Ce constat met en lumière les défis auxquels la France est confrontée pour concilier ses intérêts diplomatiques avec la réalité complexe du Moyen-Orient.

Dans ce contexte, les États arabes jonglent entre la colère de leur peuple, solidaire des Palestiniens, mais surtout hostile à Israël, et le pragmatisme des relations internationales. Ils ne s’engagent pas spécialement en faveur des Palestiniens, mais n’accepteront pas non plus des initiatives de pays que leur population juge « complice d’Israël »[29]. L’équilibre recherché par la France semble presque impossible. En essayant de contenter les deux parties, la France risque de ne convaincre personne, compromettant ainsi ses relations avec un partenaire clé qu’est Israël pour faire bonne figure face à des opinions publiques qu’elle semble avoir perdues depuis longtemps.

Par ailleurs, la politique étrangère française semble également être dictée en réaction à l’opinion publique nationale. Il existe une porosité qui ne cesse de croître entre les tensions au Proche-Orient et le débat public. Alors que 77% des Français se disent inquiets de l’atmosphère qui règne dans le pays depuis les attaques terroristes du Hamas[30], et que, comme à chaque embrasement entre Israël et les Palestiniens, les actes antisémites explosent en France[31], en modérant son soutien à Israël et en révisant ses convictions initiales, le Président de la République envoie également un message aux français dans un conflit qui ne laisse personne insensible.

Dès son allocution télévisée du 12 octobre, il avait souligné la nécessité de « rester unis ». Le Président de la République, conformément à son rôle, tente de se poser en garant de « l’unité nationale » et de « limiter l’importation du conflit en France ».

Alors, d’un franc soutien à une démocratie meurtrie face à des actes d’une barbarie innommable, face à un mal que la France a elle-même connu ces dernières années, la diplomatie française se retranche une énième fois derrière une position partisane, estimant qu’il ne s’agit que d’un énième épisode du « conflit israélo-palestinien ». Face à la pression des opinions publiques arabes, au vieux mirage d’une France sachant leur parler et être influente, et face à l’inquiétude grandissante des Français quant à l’atmosphère du pays, ainsi qu’à la menace islamiste qui resurgit à nouveau, le gouvernement tempère et temporise, multiplie les initiatives humanitaires vaines et les actes symboliques.

L’organisation par la France de la conférence humanitaire internationale pour la population civile de Gaza le 9 novembre en est l’illustration[32]. Au lieu d’adopter une approche politique ferme en faveur d’un changement significatif et d’œuvrer activement pour la paix, la France déploie des ressources considérables, notamment des centaines de millions d’euros[33], en s’appuyant sur des ONG et des organismes tels que l’UNRWA, soupçonné d’accointances avec le Hamas depuis plusieurs années, et dont certains de leurs employés ont fait l’éloge des massacres du 7 octobre[34]. Malgré ces efforts financiers, les milliards d’euros destinés à la population civile de la bande de Gaza sont détournés par le Hamas depuis des années à des fins de haine[35] ou de terrorisme[36], sans qu’il y ait d’amélioration tangible des conditions de vie des Palestiniens ni de perspective concrète de paix.

Par pragmatisme ou par manque de courage, la France a modifié son approche. D’un soutien sans ambiguïté, initialement « solidaire d’Israël et des Israéliens, attachée à leur sécurité et à leur droit de se défendre », la France s’établit dans une position d’équilibre, un « en même temps » diplomatique marqué par un tiraillement au sommet de l’Etat, avec d’un côté un Président de la République affichant sa solidarité et son amitié envers Israël, et de l’autre un Quai d’Orsay préoccupé par la perte d’influence de la France dans les pays arabes.

Ce tiraillement du Président de la République et cette ambivalence du soutien de la France à Israël ont été particulièrement visible lorsque lors de la conférence humanitaire pour les civils à Gaza, le Président de la République s’est aligné sur les positions du Quai d’Orsay et a plaidé en faveur d’un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas[37], pour ensuite, le lendemain, lors d’une interview à la BBC[38], exhorter Israël à mettre fin aux bombardements entraînant la mort de civils à Gaza. En appelant Israël à « arrêter de tuer des femmes et des bébés », Emmanuel Macron a, de fait, mis sur le même plan le Hamas et Israël de tuer des femmes et des bébés, mettant, de fait, sur le même plan le Hamas et Israël.

Cette séquence ambiguë s’est poursuivie avec son absence remarquée à la manifestation contre l’antisémitisme. Néanmoins, le Président Macron a tenu à rédiger une lettre aux Français les appelant à s’opposer à « l’insupportable résurgence d’un antisémitisme débridée »[39], soulignant qu’il ne pouvait y avoir de « tolérance pour l’intolérable » et, s’agissant du droit d’Israël à la légitime défense, qu’il ne pouvait pas y avoir de « oui, mais ».

Cependant, suite à son interview à la BBC, le Président de la République a, lors d’un appel téléphonique de chef d’État à chef d’État, réaffirmé la solidarité de la France avec Israël auprès du Président Herzog. Il a rappelé la mobilisation de la France sur la question des otages et a réitéré son soutien inéquivoque au droit et au devoir d’Israël de se défendre, ainsi que le soutien de la France dans la guerre contre le Hamas[40].

 

[1] https://twitter.com/EmmanuelMacron/status/1710586594330087796

[2] https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/israel-territoires-palestiniens/actualites-et-evenements/2023/article/attaques-terroristes-contre-israel-declaration-de-la-porte-parole-du-ministere

[3] https://fr.timesofisrael.com/macron-qui-a-parle-avec-plusieurs-dirigeants-condamne-les-attaques-contre-israel/

[4] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2023/10/09/france-allemagne-italie-royaume-uni-et-etats-unis-expriment-leur-soutien-a-letat-disrael

[5] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2023/10/12/adresse-aux-francais-3

[6] https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/24/emmanuel-macron-en-israel-une-visite-tardive-et-le-defi-d-un-reequilibrage-diplomatique_6196161_3210.html

[7] https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-monde-est-a-nous/coalition-internationale-contre-le-hamas-la-proposition-d-emmanuel-macron-se-heurte-a-de-nombreux-obstacles_6114054.html

[8] https://www.i24news.tv/fr/actu/israel-en-guerre/1699184034-devant-blinken-mahmoud-abbas-estime-qu-israel-mene-un-genocide-a-gaza

[9] https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/25/en-cisjordanie-macron-tente-de-conforter-l-autorite-palestinienne_6196379_3210.html

[10] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2023/10/12/adresse-aux-francais-3

[11] https://www.bfmtv.com/international/moyen-orient/israel/catherine-colonna-israel-a-le-droit-de-se-defendre-face-a-la-monstruosite-du-hamas-et-au-danger-qu-il-represente-sa-reponse-doit-etre-ferme-et-juste_VN-202310150338.html

[12] https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/egypte/evenements/article/sommet-du-caire-pour-la-paix-intervention-de-la-ministre-de-l-europe-et-des

[13] https://onu.delegfrance.org/la-france-a-vote-en-faveur-de-la-resolution-presentee-par-la-jordanie

[14] https://www.senat.fr/rap/r08-630/r08-630-annexe2.pdf

[15] https://nypost.com/2023/11/01/news/hamas-official-vows-to-repeat-israel-attacks-again-and-again-until-its-destroyed/

[16] https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-monde-d-apres/le-monde-d-apres-de-jean-marc-four-du-mercredi-01-juin-2022-5561228

[17] https://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/la-reforme-du-corps-diplomatique-divise-les-deputes-1896634

[18] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/08/27/discours-du-president-de-la-republique-a-la-conference-des-ambassadeurs-1

[19] https://www.bfmtv.com/politique/elysee/l-etat-profond-que-signifie-cette-expression-utilisee-par-macron-en-marge-du-g7_AN-201908270076.html

[20] https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/08/la-diplomatie-francaise-contrariee-par-les-choix-de-macron-sur-le-proche-orient_6199006_3210.html

[21] https://www.lefigaro.fr/international/conflit-israel-hamas-des-ambassadeurs-au-moyen-orient-manifestent-leur-inquietude-20231113

[22] https://www.radiofrance.fr/franceinter/les-consignes-du-ministere-de-la-culture-pour-ne-plus-programmer-les-artistes-du-niger-mali-et-burkina-faso-6125924

[23] https://www.20minutes.fr/monde/4053235-20230915-emmanuel-macron-assure-france-continuera-accueillir-artistes-sahel

[24] https://www.lesechos.fr/2018/06/le-president-macron-recadre-lambassadeur-en-hongrie-997769

[25] https://www.bfmtv.com/international/europe/macron-condamne-les-propos-de-l-ambassadeur-de-france-en-hongrie_AN-201806290067.html

[26] https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/le-depart-de-lambassadeur-de-france-en-hongrie-defraie-la-chronique-budapest

[27] https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-monde-est-a-nous/coalition-internationale-contre-le-hamas-la-proposition-d-emmanuel-macron-se-heurte-a-de-nombreux-obstacles_6114054.html

[28] https://www.lefigaro.fr/international/guerre-hamas-israel-le-porte-helicopteres-francais-tonnerre-ne-peut-prendre-en-charge-que-quatre-blesses-graves-20231103

[29] https://www.lefigaro.fr/international/l-irak-reporte-la-conference-de-bagdad-coparrainee-par-emmanuel-macron-20231101

[30] https://elabe.fr/wp-content/uploads/2023/10/31102023_elabe-bfmtv_les-francais-le-conflit-entre-le-hamas-et-israel-et-la-menace-terroriste-1.pdf

[31] https://www.lefigaro.fr/actualite-france/etoiles-de-david-croix-gammees-et-alertes-a-la-bombe-cette-vague-d-antisemitisme-qui-gangrene-la-france-20231031

[32] https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/israel-territoires-palestiniens/actualites-et-evenements/2023/article/organisation-d-une-conference-humanitaire-internationale-pour-la-population

[33] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2023/11/09/conference-humanitaire-internationale-pour-la-population-civile-de-gaza

[34] https://unwatch.org/report-u-n-teachers-celebrated-hamas-massacre/

[35] https://www.i24news.tv/fr/actu/international/europe/1683794453-virulente-resolution-de-l-ue-contre-les-manuels-scolaires-palestiniens

[36] https://fr.timesofisrael.com/lunrwa-declare-que-le-hamas-lui-a-vole-des-fournitures-avant-de-se-retracter/

[37] https://www.lefigaro.fr/international/conference-humanitaire-sur-gaza-emmanuel-macron-appelle-au-cessez-le-feu-20231109

[38] https://www.bbc.com/news/world-europe-67356581

[39] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2023/11/12/lettre-aux-francais-1

[40] https://www.bfmtv.com/politique/elysee/gaza-apres-ses-propos-sur-les-bombardements-de-civils-macron-a-appele-le-president-israelien_AD-202311120470.html